UN PAS EN AVANT, mais trop timide encore. Ainsi les associations ont-elles jugé les déclarations de Lionel Jospin sur la « double peine ». Le candidat socialiste avait déclaré, mardi 9 avril, dans le mensuel Pote à Pote, qu’il était favorable à la suppression, dans « certaines situations », de la double peine qui ajoute l’expulsion du territoire à la condamnation pénale frappant un étranger (Le Monde du 10 avril). Après des mois de blocage, l’avancée paraît pourtant réelle dans l’esprit du candidat.
Lionel Jospin a toujours été extrêmement réticent sur la réforme de la double peine, déjà promise par François Mitterrand en 1981. En avril 1998, lors d’une longue grève de la faim de dix étrangers frappés de double peine, le premier ministre avait longtemps refusé tout réexamen de leur situation, malgré les exhortations de Jean-Pierre Chevènement. En novembre 1998, le rapport Chanet avait préconisé l’« interdiction absolue » des interdictions du territoire français (ITF), mais le gouvernement avait refusé de réformer la loi.
Depuis, la suppression de la double peine est devenue une revendication emblématique dans les banlieues. A chaque rencontre avec des associations de quartier, le sujet revient Ce sont en effet des dizaines de milliers de familles qui sont touchées par cette mesure de bannissement visant l’un des leurs, On estime que, chaque année, plus de 17 000 peines complémentaires d’ITF sont prononcées. Plusieurs centaines de décisions d’expulsion par ait sont par ailleurs prises par le ministère de l’Intérieur.
Le 21 novembre 2001, une quinzaine d’associations avaient lancé une « campagne nationale contre la double peine», réclamant son abrogation pure et simple. Au même moment sortait le film de Bertrand Tavernier, « Histoires de vies brisées », qui relate la grève de la faim de dix étrangers victimes de la double peine. Les soirées de projection font salle comble depuis des mois. Le cas de Bouda, jeune danseur de hip-hop tunisien, sous la menace d’une expulsion, mobilisait plusieurs artistes, dont les cinéastes Jean-Jacques Beineix et Jean-Pierre Thorn, la chorégraphe Maguy Marin et le « hip-hopeur » Sidney.
Quelques voix se sont aussi élevées au sein du PS, puis dans l’équipe de campagne de M. Jospin, pour faire valoir que le candidat risquait de se couper de la « gauche morale », sensible aux sujets liés à l’immigration. Le PS avait compris l’urgence d’évoquer ce thème en inscrivant la suppression de la double peine dans son programme pour 2002. Après avoir refusé de l’intégrer dans son propre projet, M. Jospin vient de la reprendre « mot pour mot », comme le souligne l’un des responsables de la campagne. « C’est la première fois qu’il le dit expressément et s’engage sur la question », s’est félicitée Adeline Hazan, secrétaire nationale du PS pour les questions de société.
Après la promesse d’instaurer le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections municipales, c’est le deuxième engagement de M. Jospin qui rejoint les revendications des associations. Celles-ci le jugent pourtant trop timide. « C’est un tout petit pas. Pourquoi limiter la protection contre la double peine à certains ? Il faut supprimer cette peine discriminatoire : c’est la seule qui soit prononcée au regard de l’extranéité du délinquant », estime l’avocat Stéphane Maugendre, du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).
Plus critique, Abdelaziz Gharbi, du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), affiche son scepticisme : «Il la rejoue un peu facile. Ça sonne faux. Il est prêt à tout pour être élu ! »«On ne peut que se réjouir que Lionel Jospin découvre au bout de cinq ans que c’est une entrave aux droits de l’homme,tempère le pasteur Jean Costil, de la Cimade. Mais il faut qu’il s’engage plus en décrétant, en tant que premier ministre, un moratoire sur toutes les expulsions déjà prononcées. »