Le délit de solidarité aux sans-papiers existe-t-il ?

indexJean-Baptiste Chastand,

« Tous ceux qui aident de bonne foi un étranger en situation irrégulière doivent savoir qu’ils ne risquent rien ». Le jour où 5 500 personnes veulent se constituer prisonnières pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière, Eric Besson, ministre de l’immigration, s’est voulu rassurant sur France Inter, mercredi 8 avril. Pour lui, le « délit de solidarité », tel que le qualifient les associations d’aide aux sans-papiers, est un « mythe ».

Selon Eric Besson, seuls deux bénévoles auraient été condamnés en vertu de l’article 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui punit de cinq ans d’emprisonnement, et de 30 000 euros d’amende, « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ». Ces deux bénévoles auraient d’ailleurs été condamnés « avec dispense de peine (…) pour être entrés dans la chaîne des passeurs : en clair, ils avaient transporté des fonds, pris de l’argent à des étrangers en situation irrégulière pour le porter à des passeurs », a précisé Eric Besson.

Contactées par Le Monde.fr, plusieurs associations expliquent être justement en train de recenser les condamnations. Si le chiffre de deux ne leur paraît pas forcément faux a priori, il s’agit selon elles d’un « faux débat ». « Certes, les tribunaux, cléments, condamnent rarement des bénévoles en vertu de cet article » explique Claire Rodier du Gisti (Groupement d’information et de soutien des immigrés), « mais les interrogatoires, les interpellations, les gardes à vue sont innombrables », poursuit-elle, citant plusieurs aidants qui ont dû faire face à des « pressions policières ».

DEUX PROPOSITIONS DE LOI

Le président du Gisti, Stéphane Maugendre, explique s’opposer à l’article 622-1 pour sa « force symbolique ». « Le gouvernement utilise d’autres délits pour faire condamner les aidants, comme l’outrage ou la rébellion », dénonce-t-il. Même son de cloche au Réseau éducation sans frontières, où l’on rappelle les condamnations « pour entrave à la circulation d’un aéronef », subies par plusieurs personnes qui se sont opposées à l’expulsion d’un sans-papiers lors du décollage. « Tout cela vise à faire des aidants des délinquants de la solidarité », lance Armelle Gardien, porte-parole du réseau.

La question se pose finalement de l’utilité de l’article 622-1, si de l’aveu même du ministre de l’immigration, il ne sert pas à condamner ceux qu’il vise. Pour Eric Besson, il sert également à punir les passeurs. « Faux », affirme Stéphane Maugendre, pour qui l’article 622-5, qui punit spécifiquement les passeurs, suffit largement. « Il est tout à fait inutile de faire peser une menace sur les bénévoles avec cet article flou. »

Toujours sur France Inter, Eric Besson a nié que l’article 622-1 soit confus, « il ne s’applique pas à ceux qui aident une personne en détresse ». Rien n’empêche donc de condamner une personne qui aide un sans-papiers hors situation de détresse. Des sénateurs radicaux de gauche doivent prochainement déposer une proposition de loi pour empêcher toute poursuite « à l’encontre des personnes qui, à titre personnel ou pour le compte et au nom d’associations humanitaires, et sans but lucratif », ont aidé des migrants. Une autre proposition de loi, déposée par des députés socialistes, vise à « dépénaliser toute aide (entrée, séjour, transit) lorsque la sauvegarde de la vie ou l’intégrité physique de l’étranger est en jeu, sauf si cette aide a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ». Elle doit être débattue le 30 avril à l’Assemblée nationale. Autant de propositions qui ne semblent pas convaincre Eric Besson, qui a qualifié « d’écran de fumée » la proposition de loi socialiste.

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