Celine Rastello 24/12/2011
Le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) réagit aux nouveaux propos du ministre de l’Intérieur. Interview
« Je fais un constat : la délinquance étrangère (…) est supérieure à la moyenne enregistrée dans notre pays », a déclaré le ministre de l’Intérieur jeudi 22 décembre. Claude Guéant a également affirmé son souhait de prendre des « mesures spécifiques » pour lutter contre cette « délinquance étrangère », comme l’élaboration d’un texte permettant la possibilité d’accompagner d’une interdiction de séjour toute condamnation pénale pour des étrangers installés en France « depuis peu de temps » et sans « attache familiale ».
« Le Nouvel Observateur » a interrogé Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et avocat spécialisé en droit des étrangers en Seine-Saint-Denis.
Claude Guéant déclarait récemment vouloir que « ceux qui viennent (en France) puissent adopter (…) ce qui fait l’art de vivre français comme (…) la politesse, la gentillesse des uns avec les autres. » Il affirme à présent que « la délinquance étrangère est supérieure à la moyenne ».
– Les étrangers étaient jusqu’ici fraudeurs, pas gentils, impolis… Ils sont à présent délinquants. Lors des récents propos du ministre concernant la politesse et la gentillesse, je faisais remarquer qu’il n’affirmait pas qu’ils étaient délinquants, mais qu’on y était presque. Nous y sommes. C’est scandaleux. Je précisais aussi qu’on aurait droit grosso modo chaque semaine à une phrase du ministre sur l’immigration. C’est le cas. On est dans la droite ligne de ce qui se fait depuis des semaines. A raison d’une annonce de ce type toutes les semaines ou dix jours, où en serons-nous dans un mois ? Jusqu’où ira-t-on ?
Le ministre évoque une étude de l’ONDRP qui « quantifiera bientôt » le phénomène.
– Au moment où il s’exprime, le ministre n’a pas de chiffres. Il faut bien qu’il en trouve et que ceux-ci correspondent à ce qu’il dit. On connaît l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) et ses liens avec le gouvernement. Cela prouve bien que le ministre aura les chiffres qu’il aura commandés. Ce qui m’étonne, toutefois, c’est qu’il soit à ce point à court d’idées pour annoncer des choses de façon si imprécise et sans même connaître le code pénal. C’est la preuve que tout cela n’est que de l’annonce.
Que pensez-vous de son souhait de prendre des « mesures spécifiques » et d’élaborer un nouveau texte ?
– Tout d’abord, le ministre n’utilise pas les bons termes, ce qui est gênant aussi. Il parle d’interdiction de séjour alors qu’il fait sans doute référence à une interdiction du territoire français. Le fait d’accompagner d’une interdiction du territoire une condamnation pénale existe déjà et n’a rien de nouveau. Quand un tribunal reconnaît un étranger coupable d’une infraction condamnable par de la prison ferme, il peut l’assortir d’une interdiction de territoire français de un à dix ans, voire à titre définitif. Le code pénal lui offre cette possibilité depuis 1994. Une interdiction de séjour correspond quant à elle à l’interdiction faite à une personne, qu’elle que soit sa nationalité, d’apparaître dans tel ou tel lieu : ville, département, région. Elle est par exemple utilisée dans le cadre d’affaires de proxénétisme ou de trafic de stupéfiants.
Le ministre se défend par ailleurs de tout « retour à la double peine ».
– C’est pourtant exactement ce à quoi cette interdiction de territoire fait référence. Nous luttons depuis 30 ans contre cette double peine, qui permet, en raison de sa nationalité, de prononcer une interdiction de territoire français à une personne ayant commis un acte de délinquance. Il n’est pas possible en France de condamner quelqu’un en fonction de son activité syndicale ou de sa religion, mais en fonction de sa nationalité, c’est possible. Bien que cela soit contraire aux principes fondamentaux de la Constitution, c’est inscrit dans le code pénal à l’article 131-30. N’oublions pas non plus que Nicolas Sarkozy lui-même s’est targué en 2003 d’avoir aboli la double peine.
Pourquoi le ministre précise-t-il que ne seraient concernées que les personnes en France « depuis peu de temps » et « sans attache familiale » ?
– Il joue sur l’ambiguïté du terme même de double peine, qu’il considère alors comme une interdiction ne touchant que les personnes ayant de fortes attaches sur le territoire français, car c’est cette double peine que Nicolas Sarkozy s’était targué d’avoir abrogée. Or, la double peine est le fait de punir quelqu’un d’une peine qui n’existe qu’à raison de sa nationalité étrangère et ne s’applique pas aux autres. Ce qui en fait une disposition discriminatoire et contraire aux principes d’égalité de tous devant la loi pénale.
Une réflexion sur « Guéant et « la délinquance étrangère » : « jusqu’où ira-t-on ? » »
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