Le chef présumé du réseau a dénoncé une « cabale policière, un simulacre d’instruction et une mascarade de procès ». Le box des accusés s’est tour à tour rempli puis vidé devant un tribunal médusé
II n’y avait plus grand monde, jeudi 3 septembre, au gymnase de Fleury-Mérogis, pour la troisième journée du procès du « réseau Chalabi », un réseau de soutien logistique aux maquis algériens. La quasi-totalité des avocats boycottent les audiences afin de dénoncer ce « procès de masse » -138 prévenus -tandis que les trois quarts des 107 prévenus libres ne se sont pas présentés. Le chef présumé du réseau, Mohamed Chalabi, a longuement pris la parole pour dénoncer cette « cabale policière, ce simulacre d’instruction et cette mascarade de procès ». « Qu’on arrête de dépenser l’argent du contribuable, a- t-il lancé. Et ces vitres blindées… Qui va me tirer dessus ? La sécurité militaire ? Quand mon jour viendra, il viendra. » Les avocats ont déposé jeudi une requête en suspicion légitime contre le tribunal auprès de la Cour de cassation.
SURRÉALISTE. Il n’y a sans doute pas d’autre mot pour qualifier ce qu’il reste du procès des 138 membres présumés d’un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens. Au troisième jour d’audience, jeudi 3 septembre, la quasi-totalité des prévenus a quitté dans une confusion indescriptible le gymnase de l’École nationale de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis où ont lieu les débats.
Après le coup d’éclat des avocats qui, dès le début du procès, ont décidé de boycotter les débats afin de dénoncer les conditions de son organisation, le président Bruno Steinmann s’apprête à entendre quatre prévenus, mais seuls deux avocats sont présents. Deux avocats commis d’office qui réclament un renvoi du procès pour avoir le temps de rencontrer leurs clients et d’étudier le dossier. Le président décide de joindre l’examen de la demande au fond. Les deux avocats quittent immédiatement la salle. Le président Steinmann ne se laisse pas démonter. « Nous allons maintenant examiner le cas d’Ahmed Djellal », annonce-t-il. Le prévenu est dans le box, mais il n’a pas d’avocat. Il n’en veut pas. Il ne veut pas s’expliquer. « Je n’ai rien à vous dire », lâche-t-il avant de se rasseoir. « C’était déjà le cas pendant l’instruction, répond le président. Vous aviez même refusé de signer la plupart des PV. » Il attend une réponse. Mohamed Chalabi, le chef présumé du réseau, se lève et s’empare du micro. « Il n’y a plus rien à dire, lance-t-il. C’est quoi cette association de malfaiteurs dont on nous accuse ? Ça a commencé par une cabale policière, puis un simulacre d’instruction et maintenant une mascarade judiciaire. »
L’homme est visiblement en colère. Il annonce que, pour la troisième fois en trois jours, un prévenu détenu a été victime, le matin même, de coups portés par ses gardiens. «Mourad Tacine, ils l’ont massacré à Fresnes et il est au mitard. A quoi vous jouez ? Vous voulez faire comme avec les martyrs chrétiens, nous mettre dans l’arène avec les lions?» Mohamed Chalabi s’adresse ensuite au substitut Bernard Fos. « Vous êtes le représentant du ministère public, c’est vous qui accusez et vous n’avez aucune question à nous poser! Vous nous parlez de justice mais on a déjà casqué de toute façon. Moi, ça fait bientôt quatre ans que je suis à l’isolement Alors, vous nous reprochez quoi ? Des détentions d’armes ? »
« RELÂCHEZ-LES »
Pointant les scellés, il poursuit: «Toutes ces armes, elles sont à moi, je prends tout pour moi. Les autres prévenus détenus n’ont rien à voir avec ça, relachez-les. Ceux qui sont libres, laissez-les rentrer chez eux».
Le président l’interrompt et demande à la greffière de noter la déclaration du prévenu. Mais Mohamed Chalabi continue. «Qu’on arrête de dépenser l’argent du contribuable. Et ces vitres blindées… Qui va me tirer dessus ? La sécurité militaire ? Quand mon jour viendra, il viendra. » Pendant près d’une demi-heure, Mohamed Chalabi monopolise la parole. Avec son physique de moudjahidin afghan et son accent de titi parisien, il harangue ses coprévenus, prend le public à témoin, dénonce les conditions du procès et toute l’instruction qui l’a précédé. « Quand j’ai rencontré ce bouffon de Bruguière, cette truffe, il m’appelait « Momo le caïd ». Qu’est- ce que ça veut dire ça ? »
C’est l’un des rares moments où le président Bruno Steinmann intervient pour demander au prévenu de mesurer ses propos, mais il en faut plus pour l’arrêter. « On se sert de vous pour nous condamner et on va tous partir. Les avocats, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, de toute façon, on n’a jamais cru en eux. Il n’y en a pas un qui a trouvé une irrégularité, une faute de procédure dans ce dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages. Qui s’est occupé de nous?» Joignant le geste à la parole, le prévenu se lève et s’apprête à quitter le box. Les gardiens l’entourent Le président lui demande de se rasseoir. Mohamed Chalabi crie à ses coprévenus «debout» en arabe. Tous se lèvent Les gardiens leur passent les menottes. Un mouvement s’esquisse vers la sortie. Le tribunal est médusé.
Quelques instants plus tard, chacun retrouve sa place dans le box mais Mohamed Chalabi ne désarme pas. « Nous sommes des adorateurs de Dieu, nous ne sommes soumis qu’à lui. On va partir et on ne vient plus. » « Le tribunal a entendu votre déclaration, asseyez-vous s’il vous plaît », répond le président Steinmann. « Laissez-nous partir et je jure devant Dieu qu’il n’y aura pas d’incidents », répond le prévenu.
« Je m’en vais moi aussi », s’exclame Ahmed Djellal. Un prévenu, désireux lui aussi de quitter le procès, en vient aux mains avec ses gardiens. « Nous sommes solidaires », lance une voix dans l’autre box. Le président suspend l’audience.
Au retour du tribunal, le prétoire est pratiquement vide : pas un seul avocat et un seul prévenu détenu dans un box. Quinze prévenus I libres sont dans la salle. Bruno Steinmann, imperturbable en apparence, commence l’examen des i faits reprochés à Ahmed Djellal et à trois coprévenus, mais en l’absence des personnes concernées et de leurs avocats, l’examen se résume à I la lecture de leurs curriculum vitae I et des faits retenus contre eux. Les avocats qui ont quitté le procès ont déposé, jeudi 3 septembre, une requête en suspicion légitime contre le tribunal auprès de la Cour de cassation.