Vols avec violences fatales

 Charlotte Rotman et Jacky Durand ,

Trois policiers de la PAF provisoirement suspendus.

Nicolas Sarkozy pourra-t-il encore décemment parler de «filière positive» à propos de reconduite aux frontières après le second décès intervenu en moins d’un mois lors d’une expulsion à l’aéroport de Roissy (1) ? Après l’Argentin Ricardo Barrientos, le 30 décembre (lire ci-contre), c’est un jeune Somalien qui est mort, samedi dernier, deux jours après une tentative d’embarquement mouvementée conduite par la Police aux frontières (PAF). «Il n’est pas impossible que les techniques d’immobilisation employées par l’escorte aient contribué à l’asphyxie et au décès de cet homme», reconnaissait hier une source proche du ministère de l’Intérieur.

Asile.

Mariame Getu Hagos, 24 ans, était arrivé à Roissy en provenance de Johannesburg (Afrique du Sud), le 11 janvier. Seul et sans papiers. Il avait été placé en zone d’attente le temps que sa demande d’asile politique soit examinée, puis rejetée. Hier, le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert une information judiciaire contre X pour homicide involontaire après le décès du Somalien. Le parquet a saisi l’Inspection générale des services (IGS, police des polices) pour diligenter une enquête administrative.

Le jour de son expulsion, le jeudi 16 janvier, Mariame Getu Hagos «était très excité», selon des policiers. «Ce qui n’a rien d’extraordinaire dans le contexte du retour forcé», explique un fonctionnaire de la PAF. Dans l’après-midi, le garçon est examiné par le service médical d’urgence de l’aéroport, après un malaise. Dans la soirée, vers 19 heures, il est de nouveau ausculté. Les deux fois, le médecin qui l’examine juge ces malaises «factices». Et conclut à une simulation. Selon le service médical, «il essayait clairement d’échapper à l’urgence de l’expulsion». C’est également la version que retient la police. Selon le Samu, l’état de santé de Mariame Getu Hagos est alors compatible avec son maintien en zone d’attente et, donc, avec son expulsion. Les policiers embarquent alors le jeune homme sur le vol AF-990 à destination de Johannesburg.

Vers 23 heures, trois policiers de la PAF le font monter dans l’appareil, au lieu de deux habituellement. «Il était très agité, affirme une source proche de l’aéroport. Le personnel de bord l’a attesté.» Placé à l’arrière de l’avion, menotté et entravé aux pieds, le jeune Somalien semble se calmer. Selon des policiers, «après qu’on lui a desserré ses menottes, il a réussi à libérer l’une de ses mains et a frappé un membre de l’escorte». Les policiers l’auraient alors plié en deux sur son siège, mains sur les omoplates, le torse plaqué contre les genoux. Il s’agit de la même technique d’immobilisation qui avait été employée lors de l’expulsion de Ricardo Barrientos. C’est dans cette phase de «compression non évaluée mais qui aurait duré plusieurs minutes» que le jeune Somalien a été victime d’un troisième malaise.

«Il s’était calmé, il ne se débattait plus.» Selon des membres de l’équipage, une demi-heure après son embarquement, et alors que l’avion est rempli de moitié, il était inanimé, inerte. Il a été alors extrait de son siège. «On l’a allongé sur le dos et tenté de le réanimer, jusqu’à l’arrivée du Samu», se souvient un steward. En vain. Mariame Getu Hagos a été transporté à l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay. Après une phase de coma, il est mort, samedi après-midi, deux jours plus tard.

Information judiciaire.

«A l’issue du compte-rendu d’autopsie réalisé par deux experts médecins légistes, le parquet a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire afin de poursuivre les investigations tant sur les faits que sur le plan médico-légal», indiquait hier le parquet de Bobigny qui retient que «pour l’exécution de la mesure administrative, les fonctionnaires de police ont usé de la contrainte à l’égard de cette personne, qui avait auparavant simulé des malaises et qui se débattait». Hier soir, le ministre de l’Intérieur décidait de suspendre provisoirement les trois fonctionnaires de la PAF chargés de l’escorte. «Une mesure conservatoire, précisait le communiqué de la Direction générale de la police nationale (DGPN), qui ne préjuge en rien la suite d’une procédure dorénavant confiée à la justice et qui permettra à celle-ci de se dérouler dans la sérénité.».

(1) Le ministre espère davantage de reconduites à la frontière. Dans une tribune publiée dans le Monde du 18 janvier, il déplore que le taux de reconduite ait chuté de 23,5 % en 1996 à 16,7 % en 2001. Et souhaite que ses services gagneront en efficacité.

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