Sylvia Zappi, 08/01/2003
Une association met en cause la police aux frontières.
LE RETOUR lui fut fatal. Ricardo Barrientos, un Argentin né en 1950, devait être expulsé vers son pays à la suite de sa sortie de prison le 30 décembre. Il est mort avant que l’avion ne décolle de l’aéroport de Roissy. Il avait été embarqué à bord du Boeing 416 d’Air France à 22 h 30 accompagné par une « unité d’éloignement de la police aux frontières », précise le ministère de l’intérieur. Son expulsion ayant été préparée, il n’est pas passé par un centre de rétention.
« La procédure normale a suivi son cours », précise le service de communication de la police nationale. La procédure « normale » veut en effet que le passager forcé soit embarqué avant les autres voyageurs et installé au fond de l’appareil. Là, il est entravé : menottes attachées dans le dos ou au siège, et de plus en plus souvent, selon les témoignages des personnels de bord, il est plié en deux, la tête sur les genoux, et maintenu dans cette position par deux policiers.
« M. Barrientos a manifesté son refus d’embarquer quand il s’est installé mais il n’y a pas eu d’incident signalé par le pilote », assure la direction de la police nationale. Juste avant le départ, alors que tous les autres passagers ont pris place à bord, l’Argentin a été pris d’un malaise.
Là, les versions des faits divergent La police aux frontières (PAF) assure que dès que les deux policiers se sont aperçus de l’évanouissement ils ont averti le commandant de bord qui a fait débarquer le passager et a appelé le service médical d’urgence. Le médecin a alors constaté le décès et le corps a été transporté à l’Institut médico-légal. « Il est décédé à l’extérieur de l’avion », insiste la direction de la police nationale.
A l’inverse, selon les témoignages recueillis par l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), une fois que les policiers se sont aperçus que le corps qu’ils maintenaient était inerte, le commandant de bord a demandé si un médecin se trouvait à bord. « Ils ont amené le corps à l’avant sans ménagement. Le voyageur médecin a constaté l’arrêt cardiaque. Le corps a alors été débarqué », raconte Patrick Delouvin de l’Anafé.
Le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a été immédiatement saisi et a ordonné une autopsie. Elle a conclu à un arrêt cardiaque «classique ». Le commandant de bord a été entendu par la police et a pu regagner deux heures plus tard l’avion et le faire décoller. Quatre autres membres de l’équipage sont restés au sol pour témoigner.
« L’enquête est faite et a conclu à ta régularité des procédures ». assure la PAF. Quant aux conditions de maintien forcé du passager, elles sont habituelles : « Tout s’est passé dans les conditions réglementaires et légales», souligne la police nationale. Du côté des associations de défense des étrangers, rien n’est moins sûr :
« nous craignons que cette “mort naturelle” ne se soit produite dans une position pas si naturelle. Est-ce que cette mesure de plier les gens en deux pour annihiler toute résistance est devenue une règle générale pratiquée par la PAF pour les expulsions ? », s’inquiète M. Delouvin.
C’est en tout cas le premier décès lors de ce type <f opérations depuis dix ans. En 1991, c’est un demandeur d’asile sri lankais qui avait trou- vé la mort lors de son embarquement à bord de l’avion qui devait [e ramener à Colombo. Là aussi, l’enquête avait conclu à un arrêt cardiaque. Depuis, la PAF avait dû observer un certain nombre de régies, dont l’arrêt de toute procédure, en cas de refus manifeste du passager. Et en cas de refus du commandant de bord.