Lionel Jospin a déçu la gauche associative.

index Sylvia Zappi,  02/04/2002

LE MOMENT serait venu. Après des mois de refus d’endosser une vieille revendication de la gauche, le droit de vote des étrangers aux élections locales, Lionel Jospin s’est laissé convaincre par le PS qu’il y avait urgence à inscrire cette proposition dans son programme présidentiel. A entendre les hiérarques socialistes quelques minutes avant le discours de Lionel Jospin présentant son programme, lundi 18 mars à l’Atelier, son QG de campagne, le candidat socialiste aurait opéré une mini-révolution « après une âpre bataille ».

« Je proposerai le droit de vote des étrangers, régu­lièrement installés sur notre sol depuis cinq ans aux élections locales », expliquait M. Jospin.

L’effort risque de ne pas suffire à amener ceux qu’on a appelés la « gauche morale » à soutenir le candidat socialiste. Cette gauche morale, essen­tiellement constituée de responsables associatifs, d’artistes, de jeunes cinéastes de la nouvelle vague, s’était mobilisée en 1996 contre la loi Debré, en signant massivement l’ « Appel à la désobéissance civile », se retrouvant aux côtés des sans-papiers occupant l’église Saint- Bernard. Les mêmes avaient interpellé les partis de la gauche plurielle dans un appel « Nous sommes la gauche » avant de contribuer largement à sa victoire lors des législatives de juin 1997. Cinq ans plus tard, la plupart des personnalités qui avaient soutenu les sans-papiers boudent le comité de soutien de Lionel Jospin. Les cinéastes de la nou­velle vague en sont même remarquablement absents.

LES SANS-PAPIERS

« Déception » et « désillusion ». Les deux mots  résument l’état d’esprit de cette gauche associa­tive investie sur les questions d’immigration. Les uns assument ouvertement un vote radical au premier tour ou une abstention. Les autres disent ne pas savoir et franchement hésiter. « Je me sens tout à fait volé », dit l’anthropologue Emmanuel Terray. « Ça ne passe plus », confirme Stéphane Maugendre, vice-président du Groupe d’informa­tion et de soutien aux immigrés (Gisti). « Ce gou­vernement n’a pas fait pire que les autres mais n’a pas changé de cap dans le traitement policier de l’immigration. Au fond, les socialistes sont passés à côté du débat politique permettant d’insuffler une autre logique», résume Michel Tubiana, prési­dent de la Ligue des droits de l’homme. Pour ces militants, les renoncements et les silences du gou­vernement comme du PS – ou ce qu’ils perçoi­vent comme tels ont creusé le fossé qui sépare désormais la gauche morale de la gauche au pouvoir

Deux grandes questions ont marqué à leurs yeux les reculs de la gauche. La première fut les sans-papiers. Si le candidat Jospin ne s’était jamais engagé a régulariser tous les sans-papiers comme le réclamaient les associations, il s’était prononcé trop rapidement ? pour I’abroga­tion des lois Pasqua Debré » lors d’un meeting des Jeunes socialistes au Zénith le 15 mai 1997. Plus tard, il parlera d’ « une solution juste et humaine » pour ces clandestins. « On s est dit que peut être on allait arriver a quelque chose. Même si le gouvernement n’allait pas régulariser tous les sans papiers, il allait faire un gros effort en reprenant les critères mis en avant par tous les collectifs », se souvient Stéphane Maugendre. Puis vint le temps de la régularisation et du vote de la loi Chevène­ment, en mai 1998, qui marqua le début de la cas­sure avec les associations. La loi Chevènement a assoupli certains critères mais a maintenu le cadre général de la loi Pasqua.

L’incompréhension est alors totale. Pour le gouvernement et le PS, pas de doute.: la régulari­sation de près de 85 000 étrangers en situation irrégulière et l’application de la loi Chevènement ont apaisé les polémiques. Les associations par­lent, elles, d’une « usine à gaz ingérable » et d’une « nouvelle fabrique de sans-papiers ». Des chiffres sont brandis  près de 70 000 sans-papiers vivent dans la clandestinité. Pire, en rechignant à appli­quer les textes, les préfectures en créeraient  chaque jour de nouveaux,  » Il n’y a pas eu de volonté politique de faire appliquer la loi « . constate Gérard Tcholakian du Syndicat des avocats de France (SAF). Les fonctionnaires des préfectures, pour la plupart en poste depuis des années, ont été formés dans une logique de suspicion et de fermeture: les quelques ouvertures contenues dans la loi, comme la disposition qui reconnaît un droit au séjour après dix ans de présence  ne sont que très peu appliquée», selon les pointages des associations le stock des sans papiers est donc reconstitué. Pour Lionel Jospin, comme il l’avait vertement rappelé à Dommique Voynet en 1998; le dossier est classé.

LA DOUBLE PEINE

C’est ensuite la double peine qui prend le relais des déceptions. Histoires de vies brisées, le film de Bertrand Tavemier, ancien signataire contre la loi Debré, est venu remobiliser les soutiens de la gauche associative. Un peu partout en France, les soirées de projection font salle comble depuis des mois. Avec ces simples témoignage d’étrangers durablement installés et menacés d’une expulsion à la suite d’une condamnation pénale le réa­lisateur montre comment des dizaines de milliers de familles sont percutées par ce bannissement. Quelque dix-sept mille peines complémentaires d’interdiction du territoire français (ITF) sont pro­noncées chaque année par les tribunaux.

Pourtant, en 1998, le cabinet d’Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, avait réuni les asso­ciations et les syndicats pour tenter de trouver une solution au dossier. La magistrate Christine Chanet, mandatée par la ministre, avait préconiser « l’interdiction absolue » des interdictions du territoire à rencontre des étrangers ayant vécu et ayant été scolarisés en France depuis au moins l’âge de six ans. Un an plus tard, c’est dans le même esprit que la ministre envoyait une circulaire aux parquets. Le texte est resté lettre morte : selon le SAF les parquets continuent à requérir autant d’ITF contre les étrangers qu’auparavant. Quant à la réforme législative, pour supprimer ta double peine, le Parti Socialiste l’a bien inscrite dans son programme, mais le candidat Jospin ne l’a pas reprise dans ses proposi­tions.  « Il suffirait d’un peu de courage politique », admet Malek Boutih de SOS Racisme. « Les uns après les autres les responsables du PS m’appellent pour me dire qu’ils sont contre la double peine et qu’ils vont en parler à Lionel » remarque Bertrand Tavernier.

Reste la revendication du droit de vote. Paradoxalement, sa reprise aujourd’hui par le candidat socialiste inspire plus de méfiance que d’espoir. Voila vingt ans que la gauche le promet, rappellent en choeur les associations. A leurs yeux le gouvernement a eu tout le loisir  de faire voter Ia proposition de loi des Verts : mais en refusant de l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat, Lionel Jospin n’a pas voulu endosser une telle réforme. « Pour les socialistes, ce n’est jamais le moment. Et ses avancées sont toujours timides et très calculées » remarque Nabil Azouz du collectif Un(e) résident(e), une voix. Adeline Azan, Secrétaire nationale aux questions de société, reconnait que sur cette question, « ça achoppe ». Du coup. Jean-Christophe Cambadélis a fixé, pour le PS, rendez-vous avec la gauche associative. Comme il l’avait fait en 1997. Mais avec des partenaires qui, cette fois, ne veulent plus s’en laisser conter.

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