Ce qui devrait changer avec la fin des gardes à vue des sans papiers

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C’est un premier pas de la France vers une remise en cause de la garde à vue des étrangers au seul motif qu’ils sont sans papiers. Dans un avis rendu mardi 5 juin, la Cour de cassation estime que ce délit de séjour irrégulier ne saurait suffire à un placement en garde à vue dans le cadre d’une procédure d’expulsion. La décision définitive de la chambre civile de la haute juridiction est encore attendue. Si elle entérine cet avis, quel changement marquera-t-il dans la jungle du droit des immigrés clandestins ?

  • Avant 2008

La France incarcère les sans-papiers depuis 1938, rappelle un article du Monde, et la loi prévoit un an de prison et 3 750 euros d’amende pour séjour irrégulier. D’où la possibilité de les placer en garde à vue, celle procédure ne pouvant concerner qu’une personne soupçonnée d’un délit passible d’une peine de prison.

  • En UE, la « directive retour »

En 2008, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) entre en contradiction avec cette juridiction nationale : elle estime que le séjour irrégulier d’un étranger ne justifie pas une peine d’emprisonnement. C’est la « directive retour », qui signe une « limite à la criminalisation des sans-papiers », estime David Rohi, responsable de la commission nationale éloignement de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués).

Celle-ci fixe en effet les différentes étapes de la procédure de retour des étrangers clandestins : en priorité, le départ volontaire de la personne arrêtée dans un délai de 7 à 30 jours ; s’il n’a pas lieu, l’éloignement forcé « en employant les mesures les moins coercitives possibles » ; et enfin, si cet éloignement est « compromis par le comportement de la personne », la rétention – « la plus courte possible », de 18 mois maximum, et séparément des prisonniers de droit commun.

En 2011, la CJUE envoie une piqûre de rappel (PDF) avec l’arrêt El Dridi – du nom d’un Algérien condamné à un an d’emprisonnement en Italie car il ne s’était pas conformé à un ordre de quitter le territoire. Même dans ce cas, souligne-t-elle, l’emprisonnement « est susceptible de compromettre la réalisation de l’objectif visant à instaurer une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect des droits fondamentaux ».

  • En France, le flou juridique

En France pourtant, le flou juridique perdure et, malgré la directive de 2008 et l’arrêt de 2011, les gardes à vue d’étrangers clandestins aussi. Car « le gouvernement précédent a interprété la jurisprudence à son avantage, estimant que la garde à vue était toujours justifiée si d’autres mesures non coercitives avaient été tentées auparavant », souligne David Rohi.

Du coup, la pratique reste massivement employée : le séjour irrégulier est même l’un des premiers motifs de garde à vue, avec 60 000 personnes concernées en 2010, parmi 100 000 étrangers ayant fait l’objet d’une procédure pour ce délit.

60 000 gardés à vue, donc, mais seulement 200 condamnations à la prison ferme. Pour David Rohi, au-delà de la critique d’une pratique « trop brutalement coercitive », ces chiffres montrent un détournement de la procédure pénale de la garde à vue en procédure administrative : « Les policiers et procureurs savent pertinemment que dans plus de 95 % des cas, il ne s’agit pas de peine d’emprisonnement mais d’une reconduite à la frontière, administrative. En fait, ils font un usage de confort de ces gardes à vue, pratiques pour avoir le temps de prendre une décision. » 

  • Après le 5 juin 2012

Selon David Rohi, l’avis de la Cour de cassation a déjà eu au moins un effet, dans un tribunal de Toulouse. Un juge des libertés et de la détention, qui y validait toutes les garde à vue depuis des mois, en a annulé une mercredi.

A la place, la police peut avoir recours à d’autres procédures : l’audition libre dans les locaux de la police, laissée au bon vouloir de la personne contrôlée, et surtout, la possibilité de garder à disposition une personne pendant quatre heures pour vérifier son identité. Des mesures moins répressives pour « des personnes qui ne se considèrent pas comme des délinquants et sont bien souvent choquées par les gardes à vue », estime David Rohi.

La garde à vue est quant à elle limitée aux seuls cas où une personne est soupçonnée d’avoir « commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Ce qui pourrait, selon  Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés), entraîner des « effets pervers » : des placements pour des délits annexes plus ou moins fondés, tels qu’outrage aux forces de l’ordre, ou occupation illégale d’un lieu dans le cas d’une interpellation dans un squat.

Finalement, ce frein aux gardes à vue de sans-papiers pourrait avoir une incidence, certes sur le nombre de gardes à vue lui-même, qui avait explosé dans les années 2006-2008, mais aussi, dans une moindre mesure, sur le nombre d’expulsions. Et ce n’est pas un mal, juge David Rohi : « Après une politique d’expulsions massives, qui a concerné 62 000 personnes en 2010 et consistait bien souvent à jeter de la poudre aux yeux, dans le cas des Roms par exemple qui peuvent facilement revenir sur le territoire national, le nouveau gouvernement est invité à ne pas poursuivre une politique du chiffre. »

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