La gauche doublée par la droite.

   Charlotte Rotman

 L’opposition dépassée sur sa gauche… par la droite ? Aujourd’hui, les députés examineront, lors d’une niche parlementaire, une proposition de loi déposée par le groupe PS pour réformer la double peine. Une occasion pour les socialistes de se positionner sur cette question délaissée par le gouvernement Jospin. Mais au même moment, un autre projet (non finalisé), rédigé par le député UMP Etienne Pinte, ose aller beaucoup plus loin. C’est déjà l’élu de Versailles qui avait relancé le sujet en octobre en s’adressant à Nicolas Sarkozy, jusqu’à inciter le ministre de l’Intérieur à mettre en place un groupe de travail susceptible de préparer une réforme.

«Bannis». Dans l’exposé des motifs du texte PS discuté aujourd’hui, le ton est pourtant ferme : l’interdiction du territoire est «assimilable à un véritable bannissement, car l’histoire personnelle de l’étranger est souvent indissociable de la France». La double peine est présentée comme une «discrimination», une «anomalie». «Outre son caractère inhumain, la mesure d’éloignement est souvent inopérante et contre-productive», peut-on lire. Ou encore, un peu plus loin : «La pratique incontrôlée de la double peine fabrique des bannis.»

Hier, le député de Paris, Christophe Caresche, rapporteur du texte, enfonçait le clou : «Nous avons voulu assurer la protection des étrangers ayant un lien avec la France. Leur expulsion est une peine disproportionnée.» Son texte propose d’élargir la protection contre l’éloignement du territoire français aux pacsés. Il laisse cependant la porte ouverte à des exceptions : l’expulsion serait possible «en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou d’actes de terrorisme». Le patron de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Michel Tubiana, note «des avancées, mais insuffisantes». Membre du Gisti, Stéphane Maugendre y voit, lui, un «projet a minima». Et lui préfère le «projet a maxima» d’Etienne Pinte.

Dans son texte, non rendu public mais dont Libération a pris connaissance, le député UMP des Yvelines va beaucoup plus loin que la gauche. Même s’il ne s’agit que d’un «projet de proposition de loi», Etienne Pinte souhaite rendre impossible l’expulsion de tous les étrangers appartenant à des catégories protégées. Contrairement aux socialistes, Pinte ne retient aucune dérogation. Il entend même donner une dimension rétroactive à sa réforme en proposant d’instaurer un «droit au retour» pour des étrangers protégés déjà expulsés. De même, un avis défavorable émis par la commission d’expulsion censée étudier chaque cas serait forcément suivi d’effet.

Droit au travail. Pinte prévoit également de prolonger l’assignation à résidence jusqu’à l’expiration des recours contre les expulsions. Elle ne pourrait cependant excéder trois ans. Au-delà, un permis de séjour serait automatiquement accordé avec droit au travail garanti. Ces propositions collent aux revendications du collectif d’associations «Une peine point barre».

«La gauche a fait son texte dans son coin, Pinte a tenu compte de nos observations», constate Bernard Bolze, animateur d’Une peine, point barre. «J’aurais souhaité que cette proposition de loi soit elle aussi déposée pour que nous ayons à l’Assemblée une discussion groupée, se justifiait hier Christophe Caresche. Etienne Pinte ne l’a pas voulu.»

L’exercice n’aurait pourtant pas vraiment souri aux socialistes. D’autant qu’ils ne se sont vraiment préoccupés de la double peine qu’une fois revenus dans l’opposition. «Je reconnais bien volontiers qu’on aurait dû le faire avant», endosse Christophe Caresche, qui assure même qu’il fera aujourd’hui à l’Assemblée un «acte de contrition». Au pouvoir, les socialistes s’étaient contentés de créer une commission et d’envoyer une circulaire aux parquets. Et Lionel Jospin n’avait osé évoquer une réforme de la double peine qu’in extremis, trois jours avant son naufrage lors du premier tour de l’élection présidentielle. «A l’époque, l’opposition de droite était très agressive sur le sujet, se défend Caresche. Aujourd’hui, du côté de la majorité, les choses bougent…»

«Précipitation». Le PS en a pris prétexte pour se mouvoir à son tour. Certains militants associatifs redoutent d’ailleurs que cette «précipitation» ne court-circuite les velléités ­ inespérées ­ de réformes engagées à droite. «Le PS a perdu la main, ce n’est pas en battant les cartes très vite qu’il va réussir à se rattraper», estimait le cinéaste Bertrand Tavernier, à l’issue d’une rencontre avec Nicolas Sarkozy vendredi dernier. «Ce serait déshonorant pour le PS d’utiliser la double peine pour une manœuvre politicienne.»

«Ce n’est pas un piège, se défend Caresche. Déposer ce texte, c’est mettre les choses sur la table et voir comment on peut les faire avancer. On peut dégager un consensus, comme pour la loi sur l’IVG» votée en 1974 grâce à la gauche sous un gouvernement de droite.

Outre le calendrier, les associations regrettent de ne pas avoir été assez sollicitées. La LDH et des représentants du Gisti et de la Cimade ont certes été auditionnés. Mais après coup. «On y travaille depuis un an, on a des idées à faire passer, même si je suis content que le débat vienne, j’aurais aimé qu’on soit consultés, déplore Stéphane Maugendre. Là, tout a été précipité.» «Cela s’est décidé vite, grâce à une niche parlementaire», répond Christophe Caresche. «Le PS ne nous a invités que parce que nous avons fait savoir notre mécontentement, nuance Bernard Bolze. Quant à la proposition PS, c’est Etienne Pinte qui me l’a envoyée…» Les socialistes ont beau faire de réels efforts pour s’emparer de questions qu’ils avaient négligées par le passé, l’électron libre Pinte a décidément bien souvent une longueur d’avance sur eux.

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