Roissy : justice express sur le tarmac ?

120px-Logo_France_Info 19/09/2013

Pour trouver le nouveau Centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot ou la Zone d’attente de Roissy, il faut atteindre deux no man’s lands au bout du bout des pistes. Le CRA, le plus grand de France, ressemble à une prison. La Zone d’attente à un hôtel défraichi. Les deux sont entourés de fils barbelés.

C’est dans ces lieux coupés du monde, à peine desservis par les transports, que dans les prochains mois doivent ouvrir deux salles d’audience, spécialisées de fait dans les dossiers de migrants.

Economie de temps et de fonctionnaires pour les uns…

Parmi les défenseurs du projet, il y a le président du TGI de Bobigny et la procureure de ce même tribunal. Il y aussi des syndicats de policiers, comme Synergie. Son secrétaire général Patrice Ribeiro en souligne les avantages, surtout en terme d’organisation : « Cela permettra d’économiser des centaines voire des milliers d’heures, de fonctionnaires« .

« Aujourd’hui il faut procéder à des escortes vers le tribunal de Bobigny, à des transfèrements, avec des fonctionnaires dédiés. Et puis, ce tribunal de Bobigny, même si le dépôt a été rénové, ne permet pas de recevoir les gens dans des conditions dignes« , ajoute Patrice Ribeiro.

… « justice d’exception » pour les autres

Pour les « anti-délocalisation », au contraire, ces arguments sont des prétextes pour installer à Roissy une véritable justice d’exception. Une justice quasiment sans témoins, alors que la publicité des débats est l’un des socles du système judiciaire. Une justice rendue sous la pression permanente des services de police, comme l’explique Stéphane Maugendre, le président du Gisti, l’une des principales associations de défense des étrangers en France : « Vous voyez bien que le magistrat ne va pas être dans son lieu naturel, qui est le Palais de Justice. Un lieu un peu protégé, où il peut réfléchir et juger sereinement. Dans ces nouveaux locaux, il sera constamment au contact de services policiers. Il sera sous pression« .

Les avocats craignent eux aussi de devoir exercer leur mission dans ce contexte très particulier. De plus, explique l’un d’entre eux, Patrick Berdugo, ils seront sans doute privés de moyens : « Je ne vois pas ici d’équipements qui seraient dédiés à la défense. Dans tous les palais de justice, ils existent, mais pas ici. Parce qu’on est pas dans un vrai palais de justice. On peut se poser la question légitime des moyens accordés à la défense« .

« La droite n’a pas réussi à mettre ce projet en place pendant dix ans. Et c’est la gauche, qui, en un an et demi, va finaliser ça ! » ( Robert Feller)

Au delà des arguments des policiers et des professionnels, cette affaire a aussi des résonances politiques. Ce n’est pas la majorité actuelle qui a décidé de créer ce tribunal délocalisé à Roissy. Mais elle ne l’a pas non plus remis en cause.

Pour beaucoup d’opposants, comme le bâtonnier du barreau de Bobigny, Robert Feller, ce projet est pourtant indigne de la gauche : « La droite n’a pas réussi à mettre ce projet en place pendant dix ans. Et c’est la gauche, qui, en un an et demi, va finaliser ça ! Madame Taubira n’a pas pris la mesure de l’ampleur du dossier et s’est laissée un peu manipuler par le ministère de l’Intérieur« .

Christiane Taubira a avancé récemment des arguments financiers pour ne pas annuler le projet. Il faudrait que son ministère rembourse, sur son budget, le coût des travaux, soit 2 millions 700 mille euros. Un gâchis d’argent public que la Garde des Sceaux ne semble pas vouloir assumer.

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