Quand des policiers français expulsent « à la belge »

arton7300 Jean-Marie Horeau, 30/09/1998

Un immigré est mort étouffé sur son siégé, à Roissy. Dans l’indifférence générale, la justice enquête activement depuis sept ans.

LA dernière histoire belge ne fait rire personne. La mort d’une jeune réfugiée nigériane, étouffée par les gendarmes chargés de la maintenir de force sur le siège d’un avion en partance pour Lagos, a provoqué un début de crise poli¬tique à Bruxelles. Le ministre de l’Intérieur a démissionné, tandis que 5 000 personnes ont manifesté le 26 septembre sur le parvis de la cathédrale où était célébré un office à la mémoire de la jeune Samira Adamu.

La presse française a abondamment relaté le drame et les circonstances atroces dans lesquelles la victime est morte, alors que la gendarmerie filmait placidement la scène afin de montrer aux futures escortes l’art et la manière de faire tenir tranquilles les expulsés récalcitrants. Efficacité garantie. Mais il ne faudrait pas que les exploits de la gendarmerie belge fassent oublier les talents de certains membres des forces de l’ordre françaises. Non seulement notre police est capable de faire aussi bien, mais elle agit dans la discrétion.

Commissaire diligent

Le 28 avril dernier, dans un avion stationné sur l’aéroport du Bourget, a eu lieu la reconstitution de la mort d’un sans-papiers. Sous la direction de Corinne Buytet, juge d’instruction à Nanterre, deux policiers, dont un commissaire, ont refait, devant les experts, les gestes qui avaient abouti à la mort d’Arumum Fiva, un Tamoul qui s’était vu refuser l’entrée en France au titre de réfugié. C’était le 24 août 1991, c’est-à-dire il y a plus de sept ans. L’instruction est toujours en cours, menée, on le voit, au pas de charge.

La méthode Velpeau

Ce jour-là, à l’aéroport de Roissy, Arumum est embarqué de force dans un vol UTA à destination de Colombo. Il est accompagné par deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières, dont un commissaire, Eric Brendel. Arrivé deux semaines plus tôt, le Tamoul n’a pas quitté la zone de l’aéroport. Sa demande de statut de réfugié, transmise par fax, a été rejetée — en moins de vingt-quatre heures – par le ministère de l’Intérieur. Pourtant, son épouse avait obtenu le statut de réfugiée en Allemagne, et il espérait la rejoindre.

Le 17 août, une première tentative d’expulsion échoue. Arumum se débat, hurle tant et si bien qu’il est débarqué. Le 24 août, nouvel embarquement. Cette fois, le jeune Tamoul est bien menotté. Et surtout le commissaire Brendel lui a confectionné un bâillon avec une bande Velpeau, qui sert habituellement à panser les blessures. Selon plusieurs témoins, cette bande est croisée sur la nuque et passée ensuite autour du cou. Une nouvelle fois, Arumum se débat et se met à hurler.

Les deux policiers, selon le récit du commissaire, utilisent alors une couverture « comme une sangle » et appuient « de toute leur force sur le haut de son corps pour s opposer à ses secousses ». La scène dure près d’une demi-heure.

Jusqu’à ce que le réfugié se calme tout à fait. « Constatant que son regard était vague, rapporte le commissaire, je pen¬sais qu’il ne s’agissait pas d’une simulation, mais d’une perte réelle de connaissance. » Une infirmière et un médecin, présents à bord, interviennent et pratiquent un massage -cardiaque. Il faudra des ciseaux pour couper la bande Velpeau, tellement celle-ci est serrée. Le commissaire Brendel affirme qu’il l’avait enlevée bien avant le malaise. Version contredite par plu¬sieurs témoins. Et, curieusement, on ne retrouvera jamais cette pièce à conviction…

Magistrats indolents

Évacué par le Samu, Arumum ne reprendra jamais connaissance. Il est mort, selon la toute dernière expertise, rendue en mai dernier, à cause du traitement qu’il a subi lorsqu’il s’étranglait en se débattant, et aussi en raison d’une faiblesse cardiaque.

A la suite d’une plainte de la famille, une instruction a été ouverte. Les deux policiers ont été mis en examen, mais n’ont pas été suspendus un seul jour, et ne sont toujours pas jugés. Le ministre de l’Intérieur (à l’époque Philippe Marchand) n’a pas démissionné. La presse, à la seule exception, sauf erreur, de « L’Express », n’a pas évoqué ce fait divers. Il n’y a eu aucune manifestation, aucune cérémonie, aucune protestation.
Ils sont vraiment fous, ces Belges…