Aux assises de Paris, les confessions de « Madame Simone»

index Jean-Michel Dumay, 12/09/2000

Surnommée la « PDG de la rue Saint-Denis », Simone Darridon renseigna la police sur l’assassinat de la policière Catherine Choukroun, sur le périphérique, en 1991.

Au procès de l’assassinat de Catherine Choukroun, policière tuée sur le périphérique parisien, en 1991, Simone Darridon, soixante et onze ans, patronne de studios de prostitution et indicateur de police, est venue raconter, lundi 11 septembre, dans quelles conditions elle avait fourni, juste après le meurtre. L’information qui allait aboutir, six ans plus tard, à l’arrestation des trois personnes aujourd’hui dans le boxe des accusés. Cette déposition de « Madame Simone » a permis de mieux faire comprendre le subtil jeu de donnant-donnant entre la brigade de répression du proxénétisme et le monde de la prostitution. « Dans la rue Saint-Denis, rares sont les studios qui n’ont pas de protection, tout le monde le sait! », a-t-elle affirmé. Entendu, l’ancien patron de la « mondaine », a jugé ces pratiques acceptables « si au bout du compte le bilan est positif pour le service public »

A LA BARRE, convoquée comme témoin, Simone Darridon, soixante et onze ans, en paraissant dix de moins dans sa livrée de jean et de cuir, ne déclare pas de profession. Tout juste cette petite femme carrée aux cheveux noirs et au torse imposant parle-t-elle, entre les lignes de sa déposition, de ses « petites affaires » d’hier, dont l’un des accusés mentionna qu’elles lui valaient, ces dernières années, dans les quartiers chauds de Paris, le surnom de « PDG de la rue Saint-Denis».

Mme Darridon, pour la rue « Madame Simone », ancienne prostituée et tenancière de plusieurs studios de prostitution, fut à l’origine du « tuyau » finalement communiqué à l’aube de 1997 aux limiers de la brigade criminelle chargés d’enquêter sur l’assassinat de Catherine Choukroun, cette jeune gardien de la paix abattue en février 1991 d’une décharge de chevrotine alors qu’elle effectuait, avec un collègue, la nuit, de banals contrôles de vitesse sur le boulevard périphérique (Le Monde des 8 et 9 septembre).

Quoique erroné sur nombre de points, le renseignement, qui visait deux « videurs » d’immeubles et une ancienne prostituée toxicomane, permit finalement l’arrestation d’Aziz Oulamara, Marc Petaux et Nathalie Delhomme, qui comparaissent aujourd’hui aux assises, à Paris, avec, essentiellement contre eux, un entrelacs de déclarations de prostituées, tenancières, « julots », malfrats et autres voyous.

La raison d’un tel cadeau à la police ? « C’est un crime qui n’est pas excusable », assure le témoin, d’une voix sourde, évoquant l’acte insensé, gratuit, qui aurait été commis, selon son renseignement, sur les chemins d’un « plan de came ». « Si c’était un règlement de comptes, je la fermerais. Mais je fais ça pour cette dame [Catherine Choukroun], qu’elle dorme en paix. On n’a pas le droit de tuer, comme ça, pour rigoler. »

UN SOIR DE LIBATIONS

Face à la rumeur vertueuse, la défense bruit déjà d’une indignation à peine contenue lorsque Mme Darridon, devançant les critiques, précise, presqu’en s’excusant : « Oh ! Mais ma parole ne vaut pas grand-chose, vous savez. Je ne suis qu’une tenancière. On me traite de »balance«. Pourtant, j’ai toujours été honnête dans mon genre. » L’avocat général Philippe Bilger, qui devra bientôt sceller son accusation : « Moi, je vous crois. »

Ainsi, Mme Darridon affirme, entre autre, qu’Aziz Oulamara, un soir de libations, et bien d’autres, lui a déclaré, gestuelle à l’appui : « Moi, je suis pire qu’un tireur d’élite. Moi, je vise la tête. A cent à l’heure, je te mets une balle dans la tête. Si tu me crois pas, demande à Marco [Marc Petaux] . » Aziz Oulamara vitupère. « C’est une affaire d’argent ! Elle a livré de fausses informations pour garder ses studios ! » La défense rappelle : cinq à six studios sur les deux cents répertoriés rue Saint-Denis, d’autres rue Lebel, de cinq à dix filles par studio (des maliennes, surtout), de 8 à 10 000 francs mensuels par fille, soit 700 000 francs encaissés chaque mois, selon l’accusé. Ce qui, évidemment, représente plus que le RMI aujourd’hui annoncé.

Pressée de questions, elle concède bien : Mais elle nie avoir parlé donnant-donnant. D’ailleurs, en 1998, elle a été interpellée par la brigade de répression du proxénétisme (BRP, ex-« mondaine»), et mise en examen pour proxénétisme aggravé, alors que l’instruction de l’affaire Choukroun n’était pas achevée. A ce sujet, on la dit victime d’une guerre des polices : la crime contre la mondaine, cette même « mondaine » auprès de qui elle affirme avoir donné, juste après les faits, en 1991, le renseignement de 1997, sans qu’il ait été exploité.

« Trouvez-vous scandaleux qu’on fasse preuve de tolérance à l’égard d’un informateur ? », demande l’avocat général au commissaire Yves Castano, patron de la BRP de 1994 à juin 2000. « Non, si au bout du compte le bilan est positif pour le service public », répond celui-ci, pragmatique, en confirmant que Simone Darridon fut, « pendant un certain nombre d’années », « un indic » pour son service. Avant qu’elle ne soit répudiée, vers 1994, pour inefficacité et manque de discrétion.

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