Ali Ziri: « On ne peut pas enterrer la vérité »

«Qui a tué Ali Ziri», documentaire de Luc Decaster, sort en salle le 7 octobre 2015. Vous souvenez vous ? Le 11 juin 2009, Ali Ziri, retraité algérien de 69 ans, décédait par asphyxie après deux jours de coma, suite à son interpellation par la police à Argenteuil. Depuis, le parti socialiste est arrivé au pouvoir. Mais rien n’a changé. Les affaires de morts aux mains de la police se sont succédées en France, sombrant les unes après les autres dans l’oubli au fil de leur enterrement judiciaire et de l’indifférence politique. La prise de conscience connue aux Etats-Unis n’a pas eu lieu.

Bande-annonce de «Qui a tué Ali Ziri ?»

L’«affaire Ali Ziri» ne fait pas exception. Arrêté le 9 juin 2009 avec un ami lors d’un contrôle routier, Ali Ziri avait été transporté inconscient à l’hôpital une heure et demie après son arrivée au commissariat. Il y était décédé deux jours plus tard. Les deux hommes, de 69 ans et 61 ans, étaient fortement alcoolisés. Ali Ziri était revenu passer quelques jours en France pour effectuer des achats avant le mariage de son fils et les deux amis avaient descendu plusieurs verres dans l’après-midi. Alors qu’un premier cardiologue avait pointé une bien commode « cardiomyopathie méconnue », deux expertises ont ensuite mis en cause le pliage, une technique policière d’immobilisation. Cette dernière est normalement interdite depuis la mort en janvier 2003 d’un Éthiopien expulsé par la police aux frontières (PAF). En novembre 2011, Mediapart avait révélé des images montrant l’arrivée inerte d’Ali Ziri au commissariat ainsi que les nombreux hématomes relevés sur son corps.

L'extraction du véhicule de police d'Ali Ziri filmée par une caméra du commissariat.L’extraction du véhicule de police d’Ali Ziri filmée par une caméra du commissariat.

Les trois juges d’instruction qui se sont succédé sur ce dossier n’ont jamais auditionné les gardiens de la paix présents dans le fourgon. Ils n’ont pas entendu les témoins présents ce soir-là au commissariat. Ils n’ont réalisé aucune reconstitution. Ils n’ont pas non plus jugé utile de visionner la bande des caméras de la cour du commissariat. Malgré cette enquête indigente, la Cour d’appel de Rennes a confirmé le 12 décembre 2014 le non-lieu. Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille d’Ali Ziri a fait appel devant la Cour de cassation. Caméra à l’épaule, le cinéaste d’Argenteuil était présent dès la première marche en juin 2009. L’image est imparfaite, souvent bougée ; les longs plan séquences sur des manifestations et les réunions des militants dans une lumière grise semblent parfois un poil… longs. Comme dans son précédent documentaire au titre prémonitoire «On est là !», Luc Decaster a choisi de ne donner aucune explication, aucun commentaire.

Schéma montrant le smultiples héméatomes relevés sur le corps d'Ali Ziri lors de la seconde autopsie.Schéma montrant le smultiples héméatomes relevés sur le corps d’Ali Ziri lors de la seconde autopsie.

Mais le film a le mérite de montrer la ténacité d’une mobilisation qui dure depuis six ans, celle du collectif « Vérité et justice pour Ali Ziri» né de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF). Luc Decaster filme la France que le parti socialiste voudrait oublier : une petite ville de banlieue, les chibani, les foyers Adoma. Dans le palais de justice, le sous-sol où se tiennent les réunions du collectif, sur le marché, à la gare d’Argenteuil, il capte les visages fermés, l’incrédulité face aux décisions de justice et les discussions sur la formulation du énième communiqué de presse.

Les séquences de confrontation avec des policiers sont sans doute les plus marquantes. Au passage d’un cortège dans une rue commerçante d’Argenteuil, quatre policiers de la brigade anti-criminalité (Bac) brandissent inutilement leurs tonfas et Taser. Leur agressivité est dérisoire face aux manifestants qui grondent mais finissent par les ignorer. C’est aussi ce nouveau commissaire, dont l’extrême politesse masque mal l’indifférence, qui fait repousser les manifestants sur le trottoir parce qu’ils gênent les voitures. S’ils pouvaient même disparaître de l’espace public, devenir invisibles ces quelques gêneurs qui résistent…

La plaque posée le 12 janvier 2012 en mémoire d’Ali Ziri ne tiendra ainsi que quelques jours jusqu’à ce que le préfet du Val-d’Oise, se faisant le relais servile d’un syndicat policier, ordonne son retrait au motif qu’elle constituait «une atteinte à la présomption d’innocence». Qu’indiquait cette plaque si scandaleuse aux yeux de l’Etat ?

 

En mars 2013 encore, lors d’une visite de l’ex ministre de l’intérieur Manuel Valls à Argentueil, le collectif Ali Ziri et sa propre fille qui souhaitaient le rencontrer seront écartés. Mais cinq ans après, ils sont toujours là. Il faut entendre la colère intacte d’Omar Slaouti, professeur de physique à Argenteuil, d’Arezki Semache, porte-parole de la famille, d’Arezki Kerfali, l’ami d’Ali Ziri. Et les paroles, lors d’un rassemblement fin 2011, de l’évêque Jacques Gaillot : «On ne peut pas enterrer la vérité».

Produit par Zeugma Films et monté par Claire Atherton , «Qui a tué Ali Ziri» a pu voir le jour grâce à un financement participatif. Vous pouvez continuer à soutenir le projet ici.

A voir à l’Espace Saint Michel à Paris, mercredi 7 octobre 2015 en soirée en présence de l’équipe du film et du collectif «Vérité et Justice pour Ali Ziri», de Monseigneur Gaillot, de Jessica Lefèvre, compagne d’Amadou Koumé, victime de violence policière.

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Lire nos articles :

Comment Ali Ziri est mort asphyxié, «plié» par les policiers, novembre 2011

L’Etat ordonne le retrait d’une plaque en mémoire d’Ali Ziri, janvier 2012

Mort d’Ali Ziri : l’avocat général demande un supplément d’enquête, novembre 2014

Mort d’Ali Ziri : la cour d’appel de Rennes confirme le non-lieu, décembre 2014