Salarié étranger: qui c’est celui-là ?

Avocat et entreprises, Cécile Cochard, avril 1994

_DSC0053Si l’embauche de salaries étrangers s’impose pour toutes les sociétés dont les activités néces­sitent des relations quo­tidiennes avec l’international, elle concerne également la plupart des entreprises françaises. Des recrutements qui, loin d’être une simple formalité, relève plutôt du parcours d’obs­tacles. Une législation en constante évolution, une multitude de régimes particuliers, des sanctions lourdes en cas d’irrégularité… Mieux vaut s’informer avant d’engager !

Une société d’import- export de Seine-Saint- Denis assure le transit de marchandises entre Alger, Paris et Londres. Après avoir longtemps cherché un commercial parfaitement tri­lingue, elle trouve enfin la perle rare : un algérien disposant d’une solide expérience commerciale, pratiquant l’arabe, le français, l’anglais et possédant un visa long séjour. L’entreprise remplit le contrat de l’Office des Migra­tions Internationales (OMI) et l’adresse, par l’intermédiaire de la préfecture, à la Direction Départementale du Travail, de ‘Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP).

Refus formel de celte dernière qui lui oppose la situation de l’emploi : pour cette catégorie de postes, l’ANPE enregistre dans le département une de­mande trop importante par rap­port à l’offre. Si l’entreprise avait travaillé avec Madrid et voulu recruter un espagnol trilingue, elle n’aurait pas rencontré ce type de problème puisque les membres de la CEE bénéficient d’un régime particulier (comme d’ailleurs les cambodgiens, vietnamiens, gabonais…). De même, si elle avait souhaité embauché un cadre étranger ré­munéré plus de 17 000 F par mois, la DDTEFP se serait sans montrée moins draconienne, les consignes ministérielles préconisant  alors davantage de « bienveillance ».

Des textes à profusion

Le droit des étrangers est très complexe, explique Bruno Marcus, Bâtonnier du Barreau de Seine-Saint-Denis, car il contient une multitude d’ex­ceptions et de régimes particu­liers selon le titre de séjour, le pays d’origine ou la fonction du travailleur étranger. Par ailleurs, il évolue à un rythme tel qu’il est difficile pour les employeurs de s’y retrouver sans l’aide d’un spécialiste”. Ainsi, le texte de référence en la matière – l’or­donnance du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire français – a été modifié au moins une trentaine de fois depuis 1974 ! Sans compter les di­verses circulaires qui se succè­dent si rapidement qu’elles sont appliquées avant même d’être publiées. A cette profusion de textes s’ajoutent les contraintes administratives également susceptibles d’effrayer les entreprises. Où s’adresser ? A quel moment ? OMI, Préfecture, DDTEFP, Inspection du Travail… Les organismes compétents sont nombreux et les démarches souvent longues. Certaines grandes entreprises, comme par exemple la Comatec (société de nettoyage de la RATP), disposent d’un système de boîte aux lettres destiné à accélérer le traitement des dossiers, mais la plupart des PME ne bénéficient pas de tels avantages. Faute d’informations précises, elles sont parfois amenées à refuser des candidats qui ont le droit travailler et leur conviendraient parfaitement. Les autorisations provisoires de séjour, par exemple, suscitent quelque méfiance alors que cer-taines permettent à leurs déten¬teurs d’exercer une activité pro-fessionnelle en toute légalité.

Des sanctions de plus en plus sévères

Malgré la complexité des textes et des procédures, les entreprises ont d’autant plus intérêt à ne négliger aucune vérification que les sanctions appliquées pour lutter contre le travail clandestin tendent à se renforcer. Outre celles visées dans le Code du Travail, l’ordonnance du 2 novembre 1945 condamne l’aide directe ou indirecte à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers sur le territoire français. Amende de 2 000 F à 200 000 F, emprisonnement de deux mois à cinq ans, interdiction de séjour, impossibilité d’exercer pendant cinq ans au maximum l’activité dans laquelle l’infraction a été commise, fermeture de l’établissement… La liste s’est encore allongée avec l’entrée en vigueur, le 1er mars 1994, du nouveau code pénal. Des sanctions qui peuvent dissuader même les entreprises soucieuses de respecter les règles ! En effet, comment se sentir à l’abri de la moindre erreur quand il faut affronter un tel parcours d’obstacles ?

Quelques précautions s’imposent

“Le droit des étrangers, souligne Stéphane Maugendre, avocat au Barreau de Seine-Saint-Denis, est devenu une affaire de spécialistes”. Or, les PME/PMI ne disposent pas toujours d’une direction du personnel ou de services juridiques qui en maîtrisent toutes les subtilités. Certaines préfèrent donc s’en remettre aux conseils d’un avocat sans attendre que surgissent d’éventuelles difficultés. “Pourtant, les avocats spécialistes de ce domaine sont encore insuffisamment nombreux, souligne Bruno Marcus, et dans un contexte économique difficile les entreprises privilégient souvent la rentabilité immédiate au détriment d’une stratégie à plus long terme”. Soumises à une forte concurrence, elles sont par¬fois obligées d’embaucher vite et à moindre frais, quitte à s’apercevoir ensuite qu’elles ont négligé quelques précautions élémentaires. La première consiste à vérifier le titre de séjour du candidat. Présente-t-il une mention résident, étudiant, visiteur ou salarié ? A chacune d’entre elles correspond, en effet, un régime particulier. Pour le résident, il suffit de conserver une photocopie de sa carte et de vérifier son renouvellement tous les 10 ans. L’étudiant, en revanche, ne peut exercer d’activité professionnelle que s’il obtient une autorisation provisoire de travail (valable jusqu’à 20 heures par semaine) et les visiteurs s’engagent à ne pas travailler sur le territoire sauf si leur activité n’est pas soumise à autorisation. C’est le cas des professions libérales (architectes, médecins, enseignants…), chercheurs, guides, interprètes, cadres détachés en France par une entreprise étrangère, intermittents du spectacle… Concernant la carte de séjour mention “salarié”, il faut savoir qu’elle est valable un an et limite par¬fois les possibilités d’embauche à un secteur d’activité et/ou à une région déterminés. Si l’étranger est entré sur le territoire avec un visa long séjour en vue d’obtenir une carte de séjour mention “salarié” (pour certains pays, un visa court séjour de trois mois suffit), l’employeur doit remplir un contrat OMI et le transmettre à la DDTEFP qui opposera ou non la situation de l’emploi. Pour éviter un refus, notamment quand il s’agit de candidats atypiques, mieux vaut spécifier, de façon très détaillée, la nature du poste et les compétences requises, en joignant au contrat une lettre d’accompagnement. Plutôt que de se référer aux catégories assez rigides de l’ANPE, l’administration effectuera ainsi une recherche plus approfondie et reconnaîtra sans doute que les commerciaux parlant couramment arabe, français et anglais ne sont pas légion en Seine-Saint-Denis.