Archives de catégorie : droit des étrangers

Les zones de transit en procès

logo-liberation-311x113 Marie-Laure Colson, 27/02/1992

La Justice examinait hier les plaintes de six étrangers contre le ministère de l’Intérieur. Après le rejet par les Sages de l’amendement Marchand.

L’avocat Christian Bourguet considère ses pieds d’un air perplexe. Il fait un pas en direction de la présidente du tribunal de grande instance de Paris, qui assurait hier l’audience de deux affaires concernant des étrangers retenus par la police de l’air et des frontières à l’hôtel Arcade de Paris: «Je ne comprends pas. Dans ce sens, je suis sur le territoire français… » Ses pieds virevoltent sous la robe…et dans celui-là, je suis en zone internationale. Comment un même territoire peut-il avoir deux statuts différents, selon que l’on en sorte ou que l’on y entre?»

C’est la question de fond de ce procès qui oppose six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, au ministère de l’Intérieur, et Christian Bourguet vient de mimer les deux thèses qui font toute l’ambiguïté du problème. Puisqu’aucun texte ne légalise cette zone et que le Conseil constitutionnel vient tout juste de rejeter l’amendement Marchand, faut-il aujourd’hui s’appuyer sur l’arrêt Eksir rendu en 1984 par le Conseil d’État (la zone de transit n’appartient pas au territoire national) ou sur l’arrêt Youssef rendu en 1987 par la cour de cassation (la zone de transit appartient au territoire national) ?

Bien évidemment, la décision rendue la veille par le Conseil constitutionnel a largement été utilisée par l’avocat de la défense comme par ceux de l’accusation. Me Farthouat, qui représentait le ministère de l’Intérieur, s’est dit « singulièrement conforté » par le texte des Sages, qui rappelle que l’État est souverain pour apprécier le droit d’entrée des étrangers sur son territoire. Il a fait valoir que l’hôtel Arcade n’était certes pas «le paradis», mais que c’était toujours mieux qu’un centre de rétention, ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel.

Mais mardi, les Sages ont également renvoyé le ministère de l’Intérieur l’article 66 de la Constitution, qui garantit les libertés individuelles. Or, il existe des textes (articles 5 et 35bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 conformes à ce principe, dont les avocats de l’accusation se demandent pourquoi on rechigne tant à les utiliser. L’un d’entre eux, Sylvia Lausinotte a rappelé que ces mesures contenues dans l’article 35bis avaient été prises à la suite de l’émotion soulevé par la découverte du centre de détention clandestin d’Arenc, près de Marseille, et a fait le parallèle avec l’hôtel Arcade. L’accusation a d’ailleurs conseillé à la présidente Cochard d’aller vérifier sur les lieux mêmes que le conditions faites aux étrangers a l’hôtel Arcade relevaient tout simplement de la détention.

Pour eux, il y à l’évidence « séquestration arbitraire », donc voie de fait. Mais il y a également violation du droit d’asile. Me Simon Foreman a rappelé à cet égard que la Convention de Genève comme la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiées par la France, imposaient aux États signataires de ne pas refouler les demandeurs d’asile vers un pays ils courraient des risques. Ce principe a été bafoué, a-t-il affirme hier, puisque chacun des six plaignants aurait été, sans l’intervention des avocats et celle du Gisti, une association de défense du droit des étrangers, mis dans un avion à destination de Port-au-Prince ou de Kinshasa. L’affaire est d’autant plus grave, souligne-t-il, que depuis lors, deux d’entre eux ont déjà obtenu le statut de réfugié.

Plus largement, c’est donc la pratique du droit d’asile en France qui est mise en cause par l’accusation dans ces deux affaires, et notamment l’importance que prend progressivement le premier « tri » effectué par la police dés qu’un demandeur d’asile met le pied hors de l’avion. Mais quel que soit le jugement que rendront les magistrats le 25 mars prochain, le Conseil constitutionnel a bel et bien confirmé le droit qu’a le ministère de l’Intérieur depuis 1982 de vérifier que les demandes d’asile ne sont « manifestement pat infondées». Un droit qui n’est pat négligeable puisqu’il lui permet de refouler, avant même qu’ils ne déposent leurs dossiers à l’OFPRA, 45 % des demandeurs d’asile.

Des Avocats…..

Accueil, 23/01/1992

Des Avocats parisiens (maîtres Christian Bourguet, Sylvia Laussinotte, Stéphane Maugendre et Simon Foreman) défendront, le 26 février prochain, cinq demandeurs d’asile (quatre Haïtiens et une Zaïroise) qui ont été retenus, pour l’un d’entre eux jusqu’à un mois, en zone de transit au mois de novembre. Ils estiment que l’amendement présenté par le ministre Philippe Marchand, dans la nuit du 19 au 20 novembre, était «destiné à modifier la loi avant que le procès n’ait lieu». Selon ces avocats, l’affaire judiciaire en cours est un prétexte pour justifier la procédure législative expéditive choisie.

L’ « amendement Marchand » à nouveau devant les parlementaires

index  Philippe Bernard, 21/01/1992

Plusieurs affaires judiciaires récentes, opposant en particulier des demandeurs d’asile haïtiens à l’administration française, illustrent l’ambiguïté de la « zone internationale » que le gouvernement souhaite légaliser dans les aéroports parisiens. Cette disposition est prévue dans l’amendement qui doit être examiné, mardi 21 janvier, par la commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs (le Monde du 18 janvier).

M. D., chauffeur de « tap tap», le taxi collectif de Port-au-Prince, ne retournera pas en Haïti. La qualité de réfugié politique lui a été reconnue par la France, le 31 décembre dernier, dans un délai record. Quelques jours après le coup d’État qui a renversé, en septembre dernier, le Père Aristide, le jeune frère de M. D., qui conduit son taxi, est frappé à mort par des «tontons macoutes» qui refusent de le paver.

M. D. ose porter plainte. La même mésaventure lui arrive trois jours plus tard, mais il parvient à s’enfuir. II décide alors de se réfugier en France, d’où des parents lui envoient l’argent du billet. Arrivé à Roissy, le 4 décembre dernier, par un vol de la Swissair, il se voit passer les menottes à sa descente d’avion et est maintenu deux jours durant dans une salle de l’aéroport.

M. D. ne sait toujours pas qui était l’homme – probablement un agent de l’Office de protection des réfugiés, l’OFPRA – qui lui a suggéré de formuler une demande d’asile. Il est finalement reçu par un policier auquel il demande l’asile en France. Il est ensuite conduit à l’hôtel Arcade, dont deux étages, loués à l’année par le ministère de
l’intérieur, sont considérés par la police comme « zone internationale», et où la législation française ne s’applique pas.

«Séquestration arbitraire»

Le prochain avion pour Port-au- Prince quitte Paris quatre jours plus tard, et M. D. n’a toujours pas pu formuler sa demande d’asile sous procès-verbal, seule forme valable, inquiet, il téléphone à sa famille qui prend contact avec un avocat. Ce n’est qu’après une intervention, auprès du cabinet du ministère de l’intérieur, du GISTI, groupe de juristes militants en faveur des immigrés, que le Haïtien finit par être entendu, le 9 décembre, par un agent de la police de l’air et des frontières qui dresse procès-verbal.

Ce document enregistre la demande d’asile cinq jours après l’arrivée de M. D., mais envisage son «réacheminement» par le prochain avion d’Air-France pour Haïti. Le ministère de l’intérieur, après avis favorable du Quai d’Orsay, admet finalement le chauffeur de taxi sur le territoire le 11 décembre. Le lendemain, soit une semaine après son arrivée à Roissy, M. D. sort libre de l’hôtel Arcade.

J. L., un autre Haïtien passé dans la clandestinité après l’arrestation de ses parents, a vécu une aventure comparable à Roissy où il débarque le 6 novembre dernier. La police lui refuse l’entrée sur le territoire et le maintien en «zone internationale» en l’informant qu’il sera mis dans le prochain avion pour Port-au-Prince.

Se croyant en possession de tous les papiers nécessaires pour entrer en France, il n’a pas formulé de demande d’asile. Mais un avocat, M° Christian Bourguet, alerté par sa famille, formalise la demande. L’homme de loi va plus loin : il saisit en référé le tribunal de grande instance de Paris qui, le 22 novembre, rend une ordonnance sans précèdent.

Les juges autorisent J. L. à assigner le ministère de l’intérieur pour «séquestration arbitraire », alors même que le ministère, alarmé par le référé, a fini par l’admettre sur le territoire. L’audience, fixée au 26 février prochain, permettra de statuer sur le cas similaire de quatre autres demandeurs d’asile, trois Haïtiens et une Zaïroise, arrivés à Roissy le 19 novembre, dont les avocats, Mes Maugendre et Foreman, ont également été autorisés à poursuivre le ministère de l’intérieur.

La crainte de jugements défavorables dans de telles affaires est le principal argument avancé par le ministère de l’intérieur pour justifier son empressement à faire adopter l’amendement légalisant la «zone internationale» sous le nom de «zone de transit». En effet, le gouvernement estime qu’une décision de justice condamnant le ministère de l’intérieur sonnerait le glas des contrôles aux frontières. Mais les avocats des demandeurs d’asile affirment que la «zone internationale» n’est qu’une fiction policière. Celle-ci aurait été inventée pour empêcher l’application de la loi française qui permet de placer en rétention un étranger non admis sur le territoire, mais oblige la police à saisir un juge au-delà vingt-quatre heures. La question concerne les 10 000 voyageurs chaque année, sont bloqués à la douane dans les aéroports, faute de papiers en règle.

Moins de I % d’entre eux font l’objet d’une mesure légale de rétention administrative, tandis que d’autres séjournent, plus ou moins longuement, dans la fameuse «zone internationale ». Les demandes d’asile formulées dans les aéroports constituent d’ailleurs une part infime du total de celles qui sont enregistrées sur le territoire (86 pour 50000 demandes en 1991). La majorité des demandeurs à la frontière sont admis sur le territoire, selon les statistiques du ministère de l’intérieur. Celui-ci précise que les soixante demandeurs d’asile haïtiens enregistrés à Roissy depuis le renversement du Père Aristide ont tous été admis sur le territoire. Mais qui sait combien n’ont pu faire authentifier leur demande?

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Les futurs mariés étrangers en butte aux chicanes de la Mairie de Paris

logo-liberation-311x113 Romain Gubert, 01/12/1991

Demande de carte de séjour, d’une autorisation spéciale du préfet, demande d’une enquête auprès du procureur de la République, retardent les noces et ont un effet dissuasif.

C’est une véritable bataille juridique qu’un couple de Nigérians a livrée au maire de Paris en l’assignant en référé hier matin au Palais de justice de Paris. La raison? Le maire du 16e arrondissement n’a pas voulu les marier, le 23 octobre dernier. Après une année de vie commune, Salomon, 33 ans, qui vit légalement en France depuis plusieurs années et sa compagne, Loveline, enceinte de sept mois et en situation irrégulière, décident de se marier. Le couple dépose te 10 octobre dernier un dossier à la mairie d’arrondissement du domicile de Salomon et les bans sont publiés. Date prévue pour le mariage, le 23 octobre. Ce jour-là, témoins sous te bras, le couple se présente pour convoler en justes noces. Refus catégorique de l’officier d’état civil, qui ne nie pas leur droit au mariage mais explique qu’il n’a pas reçu les résultats d’une enquête demandée au procureur de la République. L’officier d’état civil se demande si 1e maire de Paris peut procéder au mariage du couple « sans exiger le visa sur le passeport ».

Cette interrogation est pour le moins surprenante car une circulaire du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation d’août 1982 abroge l’autorisation de mariage à laquelle étaient astreints les étrangers résidents temporaires et affirme que l’officier d’état civil peut « célébrer leur mariage sans formalité administrative particulière et sans avoir à vérifier la régularité du séjour». En juillet dernier à l’Assemblée nationale, le Garde des Sceaux lui aussi rappelé que «les règles relatives au mariage sont indépendantes de celles concernant le séjour des étrangers en France. L’instauration d’un contrôle de la régularité de ce séjour serait contraire aux dispositions des conventions internationales ratifiées par la France, notamment aux articles 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacrent le caractère fondamental de la liberté du mariage et l’interdiction d’y porter atteinte en se fondant sur l’origine nationale des intéressés».

Le « blocage provisoire » du mariage de Salomon et Loveline par la mairie du 16e est surprenant mais s’appuie sur l’article 343 de « l’instruction générale relative à l’état civil du 21 septembre 1955 ». Cette disposition permet en effet à l’officier d’état civil qui « éprouve certains doutes» sur un mariage, d’en aviser te procureur de la République, argument soutenu par maître Socquet, défenseur de la mairie de Paris. Des «doutes», qui, selon Me Stéphane Maugendre (avocat) le défenseur du couple nigérian, sont clairement définis: âge, consentement, législation nationale, etc.

A l’heure où plusieurs filières de mariages blancs ont été démantelées et où plusieurs maires tentent de contenir te nombre d’étrangers dans leurs communes, cet article permet selon maître Maugendre, « d’empêcher de nombreux mariages car beau¬coup d’étrangers ne se sentent pas d’engager des procédures pour obtenir un droit des plus légitimes, se marier ». Mais il y a plus grave, dans un DEA (diplôme de troisième cycle) de politique criminelle et droits de l’homme datant de 1989-90, intitulé «Le mariage des étrangers», deux étudiants de Nanterre, qui ont mené une enquête dans toutes les mairies d’arrondissement de Paris, observent que 85 % d’entre elles « violent non seulement la loi française mais aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des menés fondamentales en exigeant une carte de séjour, de surcroît, près de la moitié de ces mairies exigent la production d’un titre qui n’existe plus depuis 1981» (l’autorisation spéciale délivrée par le préfet).

Selon le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), ces cas se reproduiront régulièrement et « sans fin, tant que la Court européenne de justice ne jugera pas le fond et ne montrera pas que la France est dans une situation difficile, parce! que les maires continueront à faire de l’obstruction au mariage des étrangers».

Fort de leur bon droit, et après examen de l’enquête, Salomon et Loveline se marieront dans quelques jours à la mairie du 16e.

Refus de mariage : le maire au tribunal

logoParisien-292x75 Audrey Goutard, 28/11/1991

Pas de mariage à la mairie du XVIe pour un étudiant en sociologie, Salomon, trente-trois ans, qui devait épouser Loveline, trente ans, Nigérians tous les deux. Mais elle, est en situation irrégulière. Un refus qui vaut à M. Chirac et au maire du XVIe d’être convoqués vendredi au tribunal des référés.

Domiciliés dans le XVIe arrondissement, ils se présentent tout naturellement à leur mairie d’arrondissement pour remplir les formalités d’usage, c’est-à-dire établir un dossier complet comprenant extraits d’actes de naissance, certificats prénuptiaux, attestations de domiciles, etc. Le jour-même, on leur remet un document adressé par la mairie au procureur de la République, demandant si le maire peut procéder au mariage «sans exiger qu’il y ait le visa sur le passeport de le jaune femme», enceinte de sept mois.

« Une procédure classique », souligne Pierre Christian Taittinger, et ce depuis que nous avons reçu il y a quelques années, une circulaire du ministère de la Justice nous demandant d’avertir le parquet à chaque fois que la situation de l’un des futurs mariés nous paraissait ambiguë…»

Une initiative aberrante selon l’avocat du couple, Me Stéphane Maugendre, « car, explique-t-il, les maires ont le devoir en France de marier les couples, et ce, quelle que soit leur situation. »

Mais le jour du mariage, alors que les bans ont été régulièrement affichés aux portes de la mairie, et que dans un courrier adressé au couple, le secrétaire général de la mairie a confirmé fa date du mariage pour le 23 octobre, les jeunes gens et leurs témoins se voient interdire l’accès de la salle. Un agent à. l’entrée leur explique qu’ils ne sont pas inscrits sur la liste.

Malaise… La raison invoquée par les fonctionnaires de la municipalité : le procureur de la République leur au¬rait renvoyé le dossier de Salomon et Loveline, leur demandant de «surseoir à la décision ». Plus prosaïque¬ment, cela veut dire que la justice demande à la mairie de suspendre pour « le temps de l’enquête », le mariage.

« Les fonctionnaires, souligne le maire, ont suivi scrupuleusement les ordres du procureur, qui demandait que le mariage n’ait pas lieu à la date prévue ! »

Dommage que ceux-ci n’aient pas demandé l’avis de leur maire avant de prendre cette initiative, car, comme le souligne l’avocat du couple «un procureur ne peut s’opposer à un mariage que lorsqu’il y a défaut de consentement, c’est-à-dire que l’un des futurs mariés ne souhait pas aller devant monsieur le maire. Il peut aussi le faire annuler s’il ne s’est pas déroulé selon les termes de la loi… »-. Mais, à qui la faute ? Au procureur qui pour une raison « inconnue H a fait suspendre le mariage ? Aux fonctionnaires de la mairie trop zélés, qui n’ont pas pris la peine d’avertir leur maire de la situation; car lui, ne pouvait ignorer qu’il avait l’obligation de marier les jeunes gens… Rendez-vous au tribunal des référés vendredi.

Le jardinier de Montreuil est un extra-territorial

logo-liberation-311x113 Gérald Calzettoni, 01/09/1991

Halim Jebbar, 28 ans, en France depuis l’âge de 13 ans, est menacé d’interdiction de séjour. Pour le tribunal administratif, il est en situation irrégulière depuis 1989, date où ses parents, membres d’une mission diplomatique, ont quitté le pays. Il n’avait qu’un statut d’« extra-territorial ».

« Je suis un modèle d’intégration », plaisante Halim Jebbar… Mais un modèle « hors la loi » depuis le 25 août, jour où, sous le coup d’un arrêté de reconduction à la frontière de la préfecture de Seine-Saint-Denis, il aurait dû embarquer à destination du Maroc. A 28 ans, et après moult tentatives de régulariser sa situation, ce jardinier à la mairie de Montreuil risque, aujourd’hui, la prison et trois ans d’interdiction de séjour sur le territoire français.

Pendant les douze ans où il est resté sous la tutelle de sa famille, pas de problèmes. Halim est arrivé en France en 1976 à l’âge de 13 ans, suivant son père, fonctionnaire au consulat du Maroc. La famille réside à Montreuil, les enfants sont scolarisés. Après le bac en 1986, il reçoit sa première carte de séjour étudiant. Quand les parents retournent au pays en 1988, Halim, lui, reste à Montreuil ; il est en deuxième année de BTS. Mais il manque le diplôme et, l’année suivante, il se réinscrit, par correspondance, à l’examen. Et son parcours du combattant commence. Quand il vient faire renouveler sa carte étudiant, début 1989, les services de la préfecture font valoir qu’il n’y a pas eu «suivi de cours» (1), et lui refusent la carte. Il engage alors un premier recours pour faire valoir son statut de résident. Et apprendra ainsi qu’il est toujours un «extra-territorial», fils d’un membre du personnel d’une mission diplomatique. Selon le tribunal, Halim, pendant la période passée sous le toit de son père, ne peut pas être « considéré comme étant en situation régulière… ». Nuance perverse de la législation sur le séjour des étrangers. Il existe en effet une clause qui exclut, du champ d’application de ses dispositions, les membres de la famille d’un agent consulaire, sans proposer toutefois d’autres aménagements.

Le 19 août dernier, Halim Jebbar revient à l’assaut, en demandant cette fois une carte de résident, qui, —conformément à la loi du 2 novembre 1945— peut être octroyée «de plein droit à tout étranger vivant sur le territoire depuis plus de quinze ans ». Et là, du coup, cette simple formalité vire au cauchemar. Il donne identité et adresse au fonctionnaire qui lui demande d’attendre dans le couloir. Quelques minutes après, sans autre explication, il est emmené sous bonne garde au centre de rétention de Bobigny et ne doit son sursis qu’à l’absence de vol vers le Maroc ce jour-là.

Un nouveau recours, déposé devant le tribunal administratif de Paris, est rejeté. L’arrêté de reconduction est confirmé. Motif: «L’étranger auquel (…) le renouvellement d’un titre de séjour temporaire a été refusé s’est maintenu sur le territoire au-delà d’un mois à compter de la date de notification du refus… » Et pour cause, puis¬que depuis deux ans, Halim est formellement en situation irrégulière. Mercredi, à la Maison des associations de Montreuil, un comité de soutien s’est formé rassemblant ses amis d’enfance, les principaux mouvements de défense des droits de l’homme ainsi que diverses organisations de gauche et la municipalité de Montreuil elle-même. Le maire, Jean- Pierre Brard, communiste, a adressé une lettre de protestation au ministre de l’Intérieur, suivi aussitôt par le MRAP qui, par la voix de son secrétaire national, Norbert Haddad, rappelle que Halim, « connu et apprécié dans sa ville, est régulièrement affilié à la sécurité sociale, paye ses impôts, a un logement à son nom et participe activement à la vie associative de sa commune». «Ce jeune homme, précise le communiqué, ne connaît que la France et n’a plus aucun lien avec le Maroc. A l’évidence, exiger un départ immédiat pour ce pays équivaudrait (…) à un bannissement. » Le défenseur de Halim, Me Stéphane Maugendre (avocat), ne se prive pas, quant à lui, de dénoncer la préfecture de Seine-Saint-Denis comme « l’une des plus répressives » en matière d’immigration, « Le tribunal, explique-t-il, n ’a pas jugé sur le fond et s’en est tenu au séjour délictueux de Halim depuis le non-renouvellement de sa carte en 1989 et son rejet de statut de résident.» Rappelant que le recours possible devant le Conseil d’État n’est pas suspensif de la mesure de reconduction, il en appelle, lui aussi, au ministre de l’Intérieur pour qu’il « prenne la mesure humanitaire et dérogatoire qui s’impose en l’espèce ».

Le conseiller technique du ministère, Michel Debacq, en charge du dossier, n’avait toujours pas fait connaître, hier, la décision. La préfecture, quant à elle, répète inlassablement que Halim Jebbar « n ’existe que depuis 1986 et est en situation irrégulière depuis 1989».

(1) Cette décision s’appuie sur une circulaire d’août 1985, selon laquelle « l’étudiant peut se voir réclamer une attestation de  participation aux examens ».

Le Mariage ne connait pas de frontière

Hebdo 93, Christophe Morgan, 16/11/1990

La mairie du Pré-Saint-Gervais est revenue sur sa décision et a finalement célébré les noces d’Hélène Mendy, une jeune Sénégalaise en situation irrégulière. Une affaire qui met à jour une pratique illégale qui consiste à demander au parquet des autorisations préalables de mariage._DSC0008

Marcel Debarge, maire PS du Pré-Saint-Gervais était assigné à comparaître, vendredi 9 novembre, devant le tribunal de Bobigny pour « refus de mariage ». Au centre de cette polémique, une jeune Sénégalaise de vingt-sept ans, Hélène Mendy, enceinte de sept mois, qui souhaitait épouser Horacio Mendes, un réfugié politique guinéen. Une union qui leur avait été refusée dans un premier temps, la jeune femme se trouvant en situation irrégulière.

Pour Maître Maugendre, avocat d’Hélène Mendy, et pour Maître Babaci, qui représente le GISTI (groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), il s’agit là de « pratiques scandaleuses. Sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine, le droit au mariage est bafoué ».

En effet, selon les avocats « aucun texte ne permet à un maire de vérifier la régularité d’un candidat étranger au mariage ».

C’est dans ce contexte explosif qu’aurait du s’ouvrir un procès placé sous le signe d’une bataille juridique. En fait, la confrontation a été repoussée au 3 décembre. Entre temps, le couple apprenait de la mairie du Pré-Saint- Gervais que le mariage serait finalement célébré le lendemain, soit samedi 10 novembre. Les avocats ont donc remballé leurs dossiers, non sans une certaine amertume. « Nous sommes très déçus, confiait Maître Maugendre. Au fond, tout est fait pour écarter le débat. Chacun se renvoit les responsabilités ».

De fait à la mairie du Pré-Sain-Gervais, on assure qu’il n’y a pas eu refus de mariage. « Nous avons suivi une consigne du procureur qui nous demandait de signaler toute anomalie dans les papiers des étrangers », explique t-on. D’après le code civil pourtant, l’officier d’état- civil n’a pas à apprécier les conditions de domicile des candidats au mariage, encore moins à entreprendre des investigations. « Il n’a pas à savoir si les personnes sont en situation irrégulière », explique par exemple un responsable d’état-civil d’une ville du département. De leurs côtés, les avocats soulignent que « l’autorisation préalable au mariage des étrangers est abrogée depuis 1981 ». Ainsi dans cette affaire, il pourrait bien y avoir eu excès de zèle, pour ne pas dire plus, de la part de la mairie du Pré-Saint-Gervais. La pratique qui consiste à demander des autorisations de mariage préalables au parquet est pourtant courante. Coffi Bayard, un jeune Antillais, en a été l’une des nombreuses victimes. Son cas remonte à 1987 : « Je voulais épouser une Ivoirienne. raconte t-il. J’ai donc déposé un dossier à la mairie du XVIIIe à Paris. On m’a remis une lettre cachetée, que je n ’avais pas le droit de lire, à charge pour moi de l’amener au parquet. Là, une dame a pris un stylo, et a écrit « refus ». Cela n’a pas pris plus de deux minutes, et depuis, je ne me suis toujours pas marié ». D’après un responsable d’état-civil, il est vrai toutefois que le nombre de tentatives de mariages blancs tendent à se multiplier ces dernières années en Seine-Saint-Denis. En cas de doute légitime ou de conviction personnelle de l’agent, la mairie est alors tenue d’en informer le parquet. Il n’est pas si rare par exemple de voir un très jeune homme souhaitant épouser une très vieille dame. Si la tentative avorte dans une mairie, le couple cherche alors fortune dans une autre ville. Rien à voir néanmoins avec les cas de situation irrégulière. D’autant moins que l’union devant la loi ne règle pas automatiquement la situation des étrangers. Pour ce faire, il faut répondre à un certain nombre d’obligations qui passent par la justification d’un logement et d’un emploi.

Les avocats espéraient sans doute faire de ce procès un cas exemplaire. Aujourd’hui, la bombe semble bien être désamorcée. Mais la publicité dont a bénéficié cette affaire a au moins eu un aspect positif: cela a en effet permis de rappeler la loi de 1981, trop souvent bafouée. Hélène Mendy, quant à elle, a été autorisée à rester en France jusqu’en avril. A cette date, elle sera mère d’une petite fille. A la question, « Comment l’appellerez-vous ? », elle répond avec un grand sourire « Espérance. »

Mariage sans visa : le procureur dit oui

logoParisien-292x75 09/11/1990

La Sénégalaise se mariera finalement demain à la mairie. Elle est autorisée à rester en France jusqu ’en avril.

La jeune femme de vingt-six ans est depuis quelques jours au centre d’une polémique. Son avocat, Maître Maugendre, vient d’assigner le maire (P.S.) du Pré-Saint-Gervais en justice pour « refus de mariage ». L’affaire se complique lorsqu’on apprend que la Sénégalaise en question est en situation illégale sur le territoire français. Un maire doit-il accepter de marier une personne qui n’est pas en règle ?

L’avocat de la jeune Africaine s’insurge contre cette «confusion des genres». « Sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine, on bafoue un droit fondamental: le droit au mariage», affirme- t-il.« Le Parquet exige illégalement des autorisations afin de diligenter des procédures d’expulsion des étrangers, poursuit Maître Stéphane Maugendre. On a dépassé les bornes démocratiques. » Selon lui, aucun texte ne permet à un maire de vérifier la régularité du séjour d’un candidat étranger au mariage.

« Il n’y a pas eu refus de mariage, assure- t-on à la mairie du Pré. D’ailleurs, celui-ci se tiendra le 10 novembre. » La Sénégalaise épousera un réfugié politique guinéen. La mairie explique qu’elle attendait seulement le feu vert du procureur de la République. « Le 22 juin dernier, explique une collaboratrice de Marcel Debarge, les responsables de l’état-civil en Seine-Saint- Denis ont reçu une consigne du procureur. Ils devaient lui signaler toute anomalie relevée dans les papiers des étrangers. » « La jeune Sénégalaise n’avait pas de visa sur son passeport, explique-t-on à la mairie du Pré. Le Parquet a été saisi par téléphone. Il a finalement donné son feu vert au mariage le 30 octobre. » Entre temps, le jeune femme, enceinte de sept mois, avait été convoquée au commissariat des Lilas, menacée de reconduite à la frontière et finalement autorisée par le tribunal correctionnel à demeurer en France jusqu’en avril.

Pour son avocat, la régularité du séjour ne doit influer sur la célébration d’un mariage. Il souligne, en outre, que l’autorisation préalable au mariage des étrangers est abrogée depuis 1981. Le mariage de la Sénégalaise se fera donc et les juristes seront à la fête.

Au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) Le maire refuse de marier une jeune Sénégalaise

index 09/11/1990

Le maire du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), M. Marcel Debarge (PS), est assigné en justice devant le tribunal de grande instance de Bobigny, vendredi 9 novembre, pour avoir refusé de marier une jeune Sénégalaise de vingt-six ans en situation irrégulière en France. La jeune femme, enceinte de sept mois, qui souhaite épouser le père de l’enfant, réfugié politique originaire de Guinée-Bissau, avait déposé le 7 septembre à la mairie l’ensemble des papiers exigés pour cette cérémonie.

Dix jours plus tard, elle a eu la surprise de recevoir une convocation au commissariat. Invoquant un texte ancien abrogé en 1981, la mairie avait demandé au procureur de la République une autorisation préalable. Après avoir constaté la situation illégale de la jeune femme, le commissariat a, en vain, demandé au préfet un arrêté de reconduite immédiate à la frontière. Fin septembre, elle passait cette fois devant le tribunal correctionnel, pour séjour irrégulier.

Pour son avocat, Me Stéphane Maugendre, il y a là voie de fait de la part de la mairie, qui ne respecte pas le droit au mariage, d’où sa décision d’assigner le maire en référé : «Il est inadmissible, dit-il, de voir encore aujourd’hui des maires demander des autorisations préalables au parquet avant de prononcer des mariages. Or la pratique est courante». A la mairie du Pré-Saint-Gervais, on laissait toutefois entendre, jeudi matin, que ce mariage pourrait finalement être bientôt célébré.

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