Archives de catégorie : AJ

Un Avocat témoigne

Hebdo 93, 02/11/1990

_DSC0001«Tout le barreau soutient le mouvement»

Maître Stéphane Maugendre a participé le 23 octobre au dépôt symbolique d’une gerbe à la mémoire de la justice défunte. «Je fais partie d’une profession libérale qui ne dépend pas du budget de la justice mais ses conditions de fonctionnement me concernent aussi fort. Je pâtis au même titre que mes collègues de la lenteur des affaires. C’est le droit du justiciable qui est remis en cause. Pour nous se pose en plus la faiblesse des rémunérations que nous verse l’état en matière d’aide légale. Ce recours indispensable qui permet aux gens modestes d’être défendus nous est très mal indemnisée alors que les affaires traînent interminablement. S’il y avait plus de magistrats et de greffiers, le juge d’instruction pourrait mieux suivre son dossier et retrouver une pratique de terrain. Aucune mesure n’étant prise, les gens s’interrogent et perdent confiance. Les magistrats également qui quittent de plus en plus nombreux la fonction publique. Il ne faut pas oublier que si tout le monde demandait un jour de récupérer ses heures supplémentaires, le tribunal devrait fermer ses portes pour au moins deux mois… ».

Avocats : Premiers états généraux

6604839-9962832 16/02/1990

Sur la sellette : l’aide légale. Mais aussi l’avenir

_DSC0010La colère monte chez les avocats. Après doux journées nationales de protestation, les différents barreaux de France, pour la plupart en grève tiendront samedi pour la première fois de leur histoire des états généraux au palais de Justice de Bobigny.

Les raisons de la grogne? Officiellement, l’épineux de l’aide légale. Mais derrière se profile la crainte de plusieurs milliers d’avocats,18 000 au total, inquiets de la prolétarisation croissante du secteur judiciaire.

Instituée par la loi du 3 janvier 1972, l’aide légale (l’aide judiciaire en matière civile et commissions d’office en pénal). Il permet aux plus défavorisés d’accéder à la justice. Le principe est noble. Mais les finances ne suivent pas. «400 millions de francs pour l’aide judiciaire, 40 millions pour les commissions d’office, c’est à peine le budget de fonctionnement de Beaubourg», remarque Me Brigitte Marsigny, bâtonnier à Bobigny.

Au fil des ans, face à la croissance exponentielle des demandes, le système est devenu invivable. Ce n’est pas par hasard que le palais de justice de Bobigny a été choisi comme lieu de rassemblement. Zone urbaine extrêmement défavorisée, à fort taux de population immigrée, la Seine-Saint-Denis est sans doute l’un des départements les plus concernés par l’aide légale. Dans ses cités délabrées vouées à la délinquance, où le chômage sévit durement, chaque journée apporte son lot de drames: agressions, viols, enfants et femmes battus, meurtres… L’aide légale, ici, représente près du tiers de l’activité du barreau. Sur les 166 avocats de l’ordre de Bobigny (à Paris, ils sont 6000), environ 150 ont eu à traiter l’année dernière 9 600 commissions d*office (10% du nombre total de commissions nationales) et plus de 3 000 dossiers d’aide judiciaire. Or, à titre d’exemple, que l’on y consacre dix heures ou cinquante, un divorce est indemnisé 2 250 francs et un dossier passant en cour d’assises 580 francs. «Chaque fois que j’accepte de défendre une femme battue sans ressources, ce qui arrive fréquemment, souligne Me Stéphane Campana, installé depuis dix ans à Aubervilliers, je sais que je perds 12 000 francs. » Et comment faire lorsqu’il faut payer deux secrétaires, dont une à mi-temps, et faire tourner ce cabinet qui fonctionne avec deux avocats?

CALCUL

Généralement, les frais de gestion représentent, selon les cas, de 35 à 80 % du chiffre d’affaires d’un cabinet Pour le seul barreau de Bobigny, Me Stéphane Maugendre, membre du bureau du SAF (Syndicat des avocats de France), s’est livré à un petit calcul où il apparaît que sur 2 400 commissions avec instruction correctionnelle, la perte cumulée serait de plus de 14,7 millions de francs.

Manque de temps, manque d’argent le problème de l’aide légale pose avec acuité la question de la dégradation d’une profession menacée de scission. La fusion prochaine, prévue pour le printemps, des avocats et des conseils juridiques risque d’entrainer de sérieux bouleversements. Dans le secteur juridique, le seul solvable, la concurrence s’annonce féroce. Et les avocats français y sont fort mal préparés. Leur formation (maîtrise de droit plus un an d’enseignement pour obtenir le Capa, certificat d’aptitude à la profession d’avocat) accuse de sérieuses lacunes.

Les avocats jouent les plaideurs

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170, 23/01/1990

La grève de l’aide légale se poursuit malgré la création d’une commission chargée d’étudier la question. Les avocats ne veulent pas se faire oublier… C’EST bien connu, en France, si on veut enterrer un problème, il suffit de créer une commission ! Les avocats le savent, qui, tout en approuvant l’initiative du ministère de la Justice d’instaurer la commission Bouchet pour régler la grève de l’aide légale, ont décidé de poursuivre leur mouvement tant qu’aucun résultat concret ne sera obtenu. « Si le gouvernement veut gagner du temps, il nous trouvera en face de lui, prévient Me Stéphane Maugendre, membre du conseil du Syndicat des avocats de France (SAF,gauche). Ce que l’on souhaite, c’est qu’une fois le rapport du groupe d’études établi, un projet de loi soit déposé dans les six mois qui suivront. Tant que nous n’avons pas cette assurance »…

Tant qu’ils n’auront pas cette assurance, différents barreaux se mettront en grève, à l’instar de ceux de Nantes, Bobigny ou Nanterre, les premiers à avoir refusé d’assurer les commissions d’office. Cette semaine, les avocats de Montpellier et Béthune ont suivi leur confrère.

Au total, ce sont désormais 51 barreaux qui ont tenu à manifester clairement leur mécontentement.

Le conflit, qui a éclaté ces dernières semaines, couvait depuis plusieurs années. Les avocats se plaignaient en effet de la forme actuelle de l’aide légale, rémunérée si faiblement qu’elle coûtait de l’argent aux robes noires au lieu de leur en rapporter… Le risque était alors de voir apparaître une justice à deux vitesses avec les affaires sérieuses et les autres que l’on aurait tendance à expédier.

9500 dossiers

Bobigny est certainement le tribunal le plus touché par ce phénomène. Avec une population composée de familles économiquement faibles, notamment en Seine-Saint-Denis, il devenait difficile aux 166 avocats d’assurer les 9 500 dossiers qu’ils ont en charge chaque année. (9 % des commissions d’office de France, pour 1 % des avocats de notre pays).

A Paris, la proportion est inverse. Ils ont certes 10 % des commissions d’office, mais pour un tiers des avocats. C’est pourquoi le plus gros barreau de France ne s’est pas mis en grève, mais soutient totale¬ment ses confrères de province. « L’aide judiciaire est l’un des aspects de la paupérisation de la] justice. Il est nécessaire d’adapter le système aux besoins propres de chaque barreau » constate Me Stéphane Bloch, un jeune avocat parisien. Lui n’est pas directement touché par ce phénomène puisqu’il n’a que trois à quatre commissions d’office par an. Il reconnaît même se porter volontaire aux comparutions immédiates le samedi et le dimanche pour dit-il « découvrir le pénal, moi qui dans mon cabinet m’occupe surtout du droit des affaires. »

Paris, situation privilégiée? Certainement. Mais comme tous leurs confrères, les avocats parisiens s’inquiètent de la réforme globale de la profession. « On ne voudrait pas que lors de la fusion entre avocats et conseils juridiques, les premiers soient en charge de toute l’aide légale, alors que les seconds se¬raient tentés d’y échapper » commente Me Stéphane Bloch.

1993 n’est plus si loin.

Si tous les avocats reconnaissent indispensable une fusion entre ces deux métiers la France est le seul pays européen à connaître une telle dichotomie, ils refusent que cette union se fasse à n’importe quelle condition. S’ils peuvent influencer les positions politiques, c’est avant que toute décision ne soit prise. C’est donc maintenant que les avocats doivent s’exprimer, ou se taire à jamais…