« La gauche et l’immigration : la continuité, plus que le changement »

Introduction à la journée d’information du Gisti du 16 avril 2013

Le point sur les réformes (loi sur la « retenue », étudiants, nationalité, régularisation…)

© photo Stéphane Maugendre
© photo Stéphane Maugendre

Suite à l’envoi de la lettre des amis du Gisti (lettre que nous envoyons aux donateurs) au mois d’octobre 2012 [1] dans laquelle nous dénoncions déjà le projet de loi sur la retenue judiciaire en remplacement de la GAV des étrangers et le traitement infligé aux Roms, notamment durant la période estivale, je recevais un mot d’un ou d’une donatrice selon lequel nous aurions du d’abord mettre en avant les mesures positives prises par le gouvernement à l’égard des étrangers.

Je dois dire que cette critique est régulièrement faite au Gisti chaque fois qu’un gouvernement de gauche arrive au pouvoir mais en l’espèce je ne voyais pas du tout à quoi il était fait référence.

Je n’imagine pas la tête qu’il ou elle devait faire suite au rebond publié sous ma signature (mais en réalité écrit à plusieurs mains) dans libération le 17 janvier 2013 titré « Au Parti socialiste, un zeste de xénophobie ? ». [2]

Mais revenons en arrière !

Dès la campagne électorale, les choses étaient claires.

Rien dans le programme du candidat Hollande, sauf l’annonce de la réapparition du serpent de mer socialiste ou plutôt du monstre du Loch ness, c.a.d du droit de vote des étrangers aux élections locales, sans éligibilité. Nous savons qu’en à peine une année cette promesse est définitivement abandonnée.

Quant à une régularisation des sans papiers nous savions qu’elle ne serait pas globale mais au cas par cas et selon des critères précis. Rhétorique classique, rodée et apprise par cœur.

Et les sbires de la campagne de venir, dans les conférences de presse, les réunions publiques… , nous dire le soutien du PS à nos luttes de soutiens aux sans papier, aux Roms, aux étudiants étrangers…mais sans engagement plus avant.

Pour faire bonne figure, le Gisti était même reçu Rue de Solférino pour dire nos « revendications », comme si nos écrits n’étaient pas suffisamment clairs.

La nomination du Maire d’Evry qui voulait plus de « blancos » ou de « white » pour une vidéo de sa ville en juin 2009 [3], au poste d’un Ministère de l’Intérieur, dont l’omnipotence était héritée directement du Sarkozisme le plus dur, imprimait dés le départ une conception policière et répressive de la politique d’immigration [4].

Dès les mois de juillet et aout 2012, les plus brutales exactions étaient commises à l’encontre de Roms, plus que ce qui avait été fait après le discours de Grenoble de juillet 2010, pour finir par une circulaire dont l’hypocrisie se constate quotidiennement [5].

Le 25 septembre 2012, à Calais, la police a mis à sac le lieu de distribution des repas qui permettait aux organisations humanitaires d’assurer un minimum d’assistance aux exilés et demandeurs d’asile abandonnés à la rue [6].

D’ailleurs, les réponses du gouvernement au questionnement des associations sont édifiantes puisque Jean-Marc Ayrault, en janvier dernier, n’hésitait pas à exciper de la « nécessité de concilier deux exigences : la fermeté (…) ; mais aussi le respect de la dignité et l’humanité de l’action administrative face à des situations souvent très douloureuses » comme Eric Besson, en avril 2009, avait affirmé que sa « politique continuera d’allier fermeté et humanité ».

Et le Ministère de l’Intérieur, il y a quelque jours de répondre au 3D, par un insupportable déni, « Les faits évoqués dans votre décision reposent essentiellement sur des déclarations de responsables d’associations rapportant des propos non vérifiables et concernant des faits anciens qu’aucun élément objectif ne peut soutenir aujourd’hui. Seule une minorité des organisations associées à la saisine sont d’ailleurs effectivement présentes et actives auprès des migrants dans le Calaisis » [7].

Exactement comme le proclamait Eric BESSON qui affirmait que « la crédibilité du gisti était quasiment nulle » lorsque nous avions publié des décisions démontrant l’existence de poursuites et de condamnations sur le fondement du délit « dit » de solidarité [8].

Le Ministre de l’Intérieur annonce ensuite que rien ne changera dans les nombres de reconduites ou de régularisation.

En bref, beaucoup de fermeté réelle mais aussi beaucoup d’humanité virtuelle.

Aux actes et aux paroles sont venus s’associer les textes.

Mais attention, pas n’importe quel texte et pas dans n’importe quelle chronologie.

D’abord, il est fait choix délibéré de saucissonner le droit des étrangers, sans vision globale.

Ensuite, il est décidé de prendre des circulaires pour éviter d’inscrire dans le marbre législatif les critères de régularisation ou de non enfermement des familles, créant ainsi, toujours et encore, du non-droit.

Si si du non droit, puisque les principaux intéressés ne peuvent s’en prévaloir contre l’administration et que le pouvoir de contrôle du juge est écarté.

Il y a eu d’abord la circulaire du 31 mai 2012 sur le changement de statut des étrangers laissant un très large pouvoir d’appréciation aux autorités administratives et n’enlève rien, en pratique, à la difficulté du changement de statut au sortir de ses études pour occuper un emploi salarié [9].

Ensuite, la Circulaire du 6 juillet 2012 [10] sur le placement des familles en rétention. François Hollande dans une lettre adressée le 20 février 2012 (un mois après la condamnation de la France par la CEDH par l’arrêt dit Popov) à RESF et à l’Observatoire de l’enfermement des étrangers écrivait : « je veux prendre l’engagement, si je suis élu à la présidence de la République, de mettre fin dès mai 2012 à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants. La protection de l’intérêt supérieur des enfants doit primer » [11].

Or, elle ne met pas fin à la rétention des enfants et tout au contraire l’autorise dans un certain nombre de cas.

Je vous renvoie au placement au Centre de rétention de Oissel d’un enfant de trois ans, malade, avec sa mère, cueilli dans son lit à 6 heures du matin [12].

Vient ensuite la circulaire Roms, j’en ai déjà dit trois mots.

Alors qu’il avait assuré qu’il mettrait fin aux pratiques restrictives du gouvernement précédent, qui s’était félicité de ce que le nombre d’étrangers naturalisés avait chuté de 30 % en 2011[13], le ministre de l’intérieur édicte la circulaire du 16 octobre relative aux procédures d’accès à la nationalité [14]. Or. La parution de celle-ci n’a pas été de nature à confirmer cette intention affichée et de son analyse il résulte que ce gouvernement reste fondamentalement imprégné par l’idée que la nationalité française est une faveur qui se mérite et non le droit pour toute personne qui vit en France depuis un certain nombre d’années de rejoindre en droit la population à laquelle elle appartient déjà en fait. [15]

Enfin, la circulaire du 28 novembre 2012 sur les « conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière » dite de régularisation [16].

La première réaction du Gisti a été une mise en garde afin d’éviter que des personnes, en allant déposer une demande en préfecture, ne s’exposent à une mesure d’éloignement (en trois jours, elle avait déjà été téléchargée 15 000 fois !).

Notre seconde initiative a été de rédiger un vade-mecum expliquant le contenu de la circulaire [17].

Et nous venons de faire une Note pratique, analyse et mode d’emploi de la circulaire.

Pendant le même temps, en utilisant l’urgence constitutionnelle, le gouvernement a fait voter la Loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées [18]

On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour élargir les immunités pénales du délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier, alors qu’une simple instruction aux parquets suffisait,

Si, on le sait, il fallait contenter quelques partenaires associatifs.

On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour dépénaliser le seul délit de séjour irrégulier déjà inexistant depuis les arrêts El Dridi et Achughbabian [19] et préciser les modalités des contrôles d’identité [20].

Si, on le sait, il fallait montrer que ce gouvernement était humain.

On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour créer une nouvelle GAV spéciale étrangers.

Si, on le sait, c’est une commande des préfectures et des services de police.

Je laisserai mes petits camarades de la journée vous décrypter tous ces textes, d’ailleurs on est là pour ça.

J’ai oublié de vous parler de la continuation des pratiques d’éloignements criminels d’étrangers malades couvertes par les inspections générales, quelles soient de l’administration auprès du ministère de l’intérieur ou des affaires sociales [21].

J’ai oublié de vous parler des visas de transit imposés aux syriens [22], pour les empêcher de fuir les horreurs de la guerre, validés par le Conseil d’Etat [23] imprégné de ce mythe de la nécessité d’éviter « un afflux massif de migrants clandestins » et confirmant qu’il est un complice objectif de cette politique de la maitrise des flux migratoires.

J’ai enfin et aussi oublier de vous parler des pratiques scandaleuses à l’égard des étrangers hors de la métropole et notamment à Mayotte concernant l’enfermement, l’accès aux soins et aux droits malgré les condamnations de toutes les institutions internationales, européennes et françaises [24].

Nous écrivions dans Libé que le gouvernement avait « un discours politique implicite qui murmure aux Français que le pouvoir les protège malgré tout de l’adversité puisqu’il frappe les étrangers. »

Nous nous sommes trompés, le discours politique n’est pas implicite, il est très explicite et il ne murmure pas, il crie.

Nous écrivions « devenir xénophobe pour essayer d’être populaire, tel est désormais le programme. » C’est faux c’est une réalité et la lecture du rapport de la CNCDH sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ne lasse pas de nous inquiéter à cet égard [25].

Face à ce constat de la première année, nous devons nous inquiéter de ce qu’il ressortira de la mission FEKL, Député PS désigné par le Ministre de l’Intérieur, pour faire un rapport sur l’accueil en préfecture, les titres de séjours pluriannuels et le juge de la rétention administrative.

 [1] Les ami·e·s du Gisti La lettre n° 16 octobre 2012

[2] Libération 17 janvier 2013 « Au Parti socialiste, un zeste de xénophobie ? »

[3] Manuel Valls aimerait plus de « blancs » dans sa ville d’Evry Julien Martin Ex-Rue89 10/06/2009

[4] L’immigration reste à l’Intérieur, au moins jusqu’aux législatives Libération 17 mai 2012 .

[5] Roms : brutale « humanité » ÉDITO Plein droit, 94, octobre 2012 « L’étranger et ses juges» et Pour aller plus loin : quelques éléments d’analyse de la circulaire du 26 août 2012

[6] Dix ans après la fermeture du camp de Sangatte Plus de répression que jamais à Calais

[7] Harcèlement policier des migrants à Calais constaté par le Défenseur des droits L’insupportable déni du ministère de l’Intérieur

[8] Dossier Gisti Les délits de la solidarité

[9] circulaire du 31 mai 2012, INTV1224696C relative à l’accès au marché du travail des diplômés étrangers et note pratique du Gisti « Le changement de statut étudiant à salarié » juin 2012

[10] Circulaire du 6 juillet 2012 relative à la Mise en œuvre de l’assignation a résidence prévue a l’article L.561-2 du CESEDA en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l’article L.551-1 du même code

[11] François Hollande s’engage à mettre fin à la rétention des enfants Le Monde.fr 14.03.2012

[12] À Rouen, la région dont des élus sont ministres, on emprisonne et on expulse un enfant de 3 ans

[13] Gisti Le dossier noir des naturalisations

[14] Circulaire du 16 octobre 2012 relative aux procédures d’accès à la nationalité

[15] Naturalisation : encore une promesse non tenue ÉDITO Plein droit, 95, décembre 2012« Des familles indésirables »

[16] Circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile NOR : INT/K/12/29185/C

[17] Note pratique du Gisti Régularisation : la circulaire « Valls » du 28 novembre 2012 : Analyse et mode d’emploi avril 2013

[18] Loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées

[19] Claire Saas, Université de Nantes, L’étranger et ses juges Plein droit, 94, octobre 2012 « L’étranger et ses juges »

[20] Contrôles d’identité : de quel droit ? Tribune de Nathalie Ferré publiée sur le site web Métropolitiques le 30 janvier 2013 et Note pratique du Gisti, Contrôles d’identité & interpellations d’étrangers 3e édition mars 2012

[21] Expulsions d’étrangers malades : Le ministère de la Santé aux abonnés absents. ODSE – Observatoire du droit à la santé des étrangers , et Conférence de presse de l’ODSE du Mardi 19 mars 2013. Expulsions d’étrangers gravement malades : La santé des étrangers intéresse-t-elle encore le gouvernement ? , et Personnes étrangères malades placées en rétention et expulsées depuis juin 2012

[22] Quand la France tente d’empêcher les Syriens de fuir

[23] Le Conseil d’État abandonne les réfugiés syriens à leur sort… en volant au secours du gouvernement français

[24] Dossier du gisti « L’outre-mer » et le ministre de l’intérieur esquive-t-il pour éviter de changer la loi ? et L’appel des associations pour le droit à la santé des enfants de Mayotte

[25] http://www.cncdh.fr/sites/default/files/dossier_de_presse_cncdh_racisme_2012.pdf et

http://www.cncdh.fr/sites/default/files/cncdh_racisme_02_basse_def.pdf