Valls inflige seize heures de retenue aux sans-papiers

 , Fabrice Tassel

Les deux axes du projet ne sont sur le fond pas surprenants. Le premier découle d’une décision de la Cour de cassation du 5 juillet qui avait rendu impossible le placement en garde à vue d’un étranger sur ce seul défaut de présentation des papiers. Etre sans-papiers ne devenait plus en soi un délit. En 2011 sur près de 100 000 étrangers ayant fait l’objet d’une procédure pour séjour illégal, 60 000 avaient été placés en garde à vue, selon les associations. Cette décision découlait elle-même de la réforme de la garde à vue en France, en juin 2011, qui liait cette restriction de liberté à la commission d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Une décision de la Cour européenne de justice en Italie était allée dans le même sens.

«Dispositif». Depuis juillet, les étrangers ne pouvaient donc pas être retenus plus de quatre heures, le délai maximal pour une vérification d’identité. Le projet de loi leur confère à nouveau un statut spécial, avec la possibilité de les retenir seize heures au maximum, temps jugé suffisant pour engager une éventuelle procédure d’expulsion. En juillet, Valls avait expliqué chercher «un dispositif» garantissant «un équilibre entre le respect des libertés individuelles et les exigences des maîtrises des flux migratoires.» «Mais pourquoi n’applique-t-on pas aux étrangers le droit commun ? s’insurge Stéphane Maugendre. Seize heures, c’est une retenue de confort pour la police et la préfecture pour vérifier l’identité de la personne interpellée. Or, sur le terrain, la police effectue des descentes dans des endroits spécifiques en sachant qu’elle n’aura pas besoin de seize heures pour vérifier les identités.»

Dans l’entourage de Manuel Valls, on maintient que«quatre heures est un délai insuffisant pour vérifier les identités.» Pierre Henry, le directeur général de France Terre d’Asile, regrette «qu’il s’agisse d’un dispositif spécifique qui sorte du droit commun» et espère des garanties à travers la présence des avocats et des associations pendant les seize heures de retenue, ce que confirme le ministère de l’Intérieur. Le directeur de France Terre d’Asile s’inquiète aussi «de la vraie question, celle qui suit le chiffon rouge de la garde à vue : y aura-t-il une réforme globale de la politique d’éloignement des étrangers ?»

Fronde. L’autre principale annonce du projet de loi est plus consensuelle car plus symbolique : l’abrogation du délit de solidarité. Il avait déjà provoqué une fronde monstre en 1997 et un défilé de 150 000 personnes à Paris. Ce délit a connu un durcissement en juin 2003, sous l’impulsion de Sarkozy, la loi prévoyant une peine de prison de dix ans et une amende de 750 000 euros (!).

«C’est une mesure symbolique importante, relève Pierre Henry, mais, dans les faits, ce délit n’était pas appliqué depuis deux ans.» En fait, assez peu de condamnations ont été prononcées par des tribunaux. En 2009, le Gisti avait produit une liste d’une trentaine de condamnations mais très peu concernaient des bénévoles, plutôt des personnes d’origine étrangère ayant hébergé ou aidé un parent en situation irrégulière. En revanche, de nombreuses actions de pression ont été déclenchées, n’allant pas forcément jusqu’aux poursuites pénales mais créant un climat de suspicion parmi les aidants. Une ambiance traduite par le succès du film Welcome. La Fédération internationale des droits de l’homme avait recensé de très nombreuses histoires de citoyens ayant connu l’interpellation au petit jour, le menottage, la garde à vue et les fouilles au corps. Les opérations contre les filières d’immigration clandestine ont, elles, globalement fait chou blanc.

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