Le transfuge du 8e bureau.

logo-liberation-311x113  Charlotte Rotman

MonédièrePendant des années, Daniel Monédière, chef du 8e bureau de la direction de la police générale à la préfecture de police de Paris, chargé des «mesures d’éloignement des étrangers», a expulsé les clandestins. Avec application. Il y a trois ans, il quitte momentanément l’administration, monte un petit cabinet de conseil juridique, et depuis… défend ­ ardemment? ­ les étrangers. Drôle de reconversion.

Ce fonctionnaire zélé a longtemps été la bête noire des avocats spécialistes du droit des étrangers. Daniel Monédière débarque à la préfecture de police de Paris en 1988, à presque 40 ans. Auparavant, il a travaillé en mairie et à différents postes de l’administration, où il s’est plutôt ennuyé. Il raconte qu’il a passé le concours de l’ENA, mais a été «fusillé au grand O», le dernier oral: «J’avais pas le style.» Après cinq ans au 9e bureau de la préfecture «Afrique-Maghreb-Europe», il passe chef du 8e bureau, dédié à l’éloignement des étrangers. «Là, on est plus impopulaire.» Le travail lui plaît. «Je me suis bien investi», dit-il aujourd’hui. Il apprécie la simplicité des situations: «Il y a des catégories: « Régulier » ou non, et des critères. S’ils sont irréguliers, les étrangers doivent quitter le territoire.» C’est sa tâche. Et, pour l’accomplir, «il faut un instinct de chasseur». «Je devais résoudre cette question: concrètement, comment fait-on pour faire monter quelqu’un dans l’avion?», résume-t-il. Mais est-ce qu’on est méchant pour autant?» Il s’en défend: «On a pu dire que j’étais investi de la mission de nettoyer la France de ses étrangers, mais non.» Pour Daniel Monédière, le roi du 8e bureau, le chantre de l’action administrative, «l’important, c’est l’efficacité».

Subterfuges. «C’était un obsédé de la statistique, obnubilé par le chiffre de reconduites à la frontière», se souvient l’avocat Simon Foreman. «A la préfecture, on l’avait en face de nous, il ne jouait pas le jeu. Il avait des pratiques pour faire échec au droit de la défense qui nous heurtaient», raconte Me Stéphane Maugendre. Les avocats se souviennent de sa «hargne» à leur égard et lui reprochent d’avoir utilisé n’importe quelle ruse pour faire du chiffre. Il faut dire que Daniel Monédière traîne quelques boulets. En 1995, il passe en correctionnelle en citation directe pour «abus d’autorité». Il avait imaginé un subterfuge pour que les étrangers en instance d’expulsion, placés au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, passent devant le juge de Paris, et non celui de Meaux, dont dépend pourtant le centre, mais où la préfecture n’a pas de permanencier. Pour cela, il avait envoyé une note au commandant du centre de rétention pour demander de conduire les étrangers à l’audience «comme s’ils étaient retenus au dépôt» parisien. Le tribunal correctionnel de Paris avait jugé irrecevables les partie civiles. Mais, à l’audience, Monédière avait passé un sale quart d’heure (Libération du 2 décembre 1995). Les subterfuges de son invention, qui avait été évoqués alors, ont contribué à sa mauvaise réputation: renvoi dans son pays natal d’un Mauricien, père de famille interpellé sur le territoire, placé en centre de rétention, et qu’un juge avait pourtant décidé de libérer. Placement en garde à vue à l’aéroport d’une Ivoirienne, convoquée à la préfecture avec sa fille de quelques mois née en France, et finalement relâchée avec son bébé par un juge. Présentation différée au tribunal des étrangers dont le maintien en centre de rétention a expiré, dans l’espoir de trouver un juge moins laxiste… «Il était connu pour sa mauvaise foi», se souvient-on au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «Le pire c’est qu’il a imprimé cet état d’esprit à ses subordonnées.» Monédière ou l’archétype du fonctionnement de la préfecture.

Ce même individu est devenu consultant. En 1997, le fonctionnaire se met en disponibilité et ouvre une officine pour «prestations de services et conseils en matière administrative», notamment sur le droit des étrangers. «C’est comme si le procureur devenait avocat de la défense», explique Stéphane Maugendre, en habitué des prétoires. L’année 1997 est celle de la circulaire Chevènement, qui prévoit des critères de régularisation. «Ça tombait bien, il y avait beaucoup de boulot.» Pour son premier client, un chauffeur de taxi qui demande un regroupement familial, Monédière fait «une belle lettre à la préfecture». Aussitôt, raconte-t-il, son ancien adjoint l’appelle: «Mais qu’est-ce que tu fous? Tu es contre nous?» Au sein de la préfecture, une commission de déontologie est saisie. Elle rend un avis favorable à l’exercice de son activité de consultant «sous réserve que l’intéressé s’engage à ne pas avoir d’activités de conseil en droit des étrangers dans le ressort de la préfecture de police de Paris».

Tollé. Daniel Monédière a traité des centaines de dossiers qu’il boucle en puisant dans son expérience au 8e bureau. Ses honoraires moyens s’élèvent, selon lui, à 4 000 francs par dossier. «Je suis content si un client est régularisé», dit-il. Comme pour se défendre, il ajoute aussitôt qu’il ne sautait pas de joie quand, à la préfecture, il renvoyait quelqu’un hors de France. Pourtant, il ne peut s’empêcher de retrouver un agacement très préfectoral: «Mais il n’y a rien de plus frustrant que de se faire annuler un dossier bien ficelé de reconduite à la frontière.» Parfois, le consultant a du mal à oublier le fonctionnaire qu’il était.

Sa nouvelle activité soulève un tollé chez les avocats. Pour certains, elle s’apparente à un «pantouflage» peu compatible avec une fonction publique. Surtout, il s’agit d’une activité de conseil juridique alors que Daniel Monédière n’est pas inscrit au barreau. Et puis, les avocats, qui l’ont toujours connu «acharné», pugnace, huilant inlassablement la machine à expulser les étrangers, trouvent mystérieux qu’il fasse aujourd’hui son possible pour les maintenir sur le territoire. Et se demandent s’il y met le même zèle. La mise en disponibilité de l’administration de Daniel Monédière court jusqu’en 2002.

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