La France mise en cause après la mort de migrants

11/04/2012

En mars 2011, en plein soulèvement libyen, des milliers de migrants fuient le pays vers l’intérieur du continent, ou par la mer. Le 27 mars, 72 personnes dont des femmes et des enfants quittent Tripoli à bord d’une embarcation de fortune. Après deux semaines en mer et malgré les appels de détresse, ils seront rejetés par les vagues sur les côtes libyennes. 63 d’entre eux sont morts dans cette tentative désespérée de rejoindre l’Europe. Un an après le drame, quatre survivants ont décidé de porter plainte contre X à Paris pour non assistance à personne en danger.

Deux semaines de cauchemard

 Ils s’appellent Elias Mohamad KADI, Kebede ASFAW DADHI, Mohamad Ahmad IBRAHIM et Abu KURKE KABETO. Tous les quatre sont Ethiopiens et rescapés du périple  cauchemardesque d’avril dernier. Ils ont porté plainte à Paris car ils sont persuadés que des avions et navires militaires, présents au large des côtes libyennes, auraient pu leur venir en aide alors qu’ils dérivaient au milieu de la Méditerranée sans eau ni nourriture.

A l’époque, au début de l’année 2011, la Lybie est en guerre. Sur place, des rumeurs indiquent que le colonel Kadhafi recrute des mercenaires subsahariens pour tuer les insurgés libyens. Craignant pour leurs vies, des milliers de travailleurs noirs quittent le pays. C’est le cas de 72 migrants Ethiopiens, Nigériens, Soudanais et Ghanéens qui décident, dans la nuit 26 au 27 mars, de rallier l’île italienne de Lampedusa, à bord d’une embarcation de fortune. Pendant les premières heures du voyage, le bateau fonce vers le large. Il est même pris en photo par un avion de reconnaissance français. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme dit s’être procuré le cliché.

A la moitié du parcours, le bateau n’a plus de carburant. Les naufragés utilisent alors un téléphone satellitaire pour contacter un prêtre Erythréen basé à Rome. Celui-ci fait parvenir le message aux autorités italiennes avec les coordonnés GPS de l’embarcation. Dans la soirée du 27 mars, les gardes-côtes italiens diffusent un message à tous les navires se trouvant dans la zone pour leur demander de porter secours aux migrants.

 Tous les bateaux transitant dans cette zone sont priés d’être vigilants et d’informer en urgence les garde-côtes de Rome de toute observations

 Le message est également transmis aux autorités maltaises et au quartier général de l’OTAN à Naples.

Dans cette même soirée, un hélicoptère aurait survolé l’embarcation, avant de s’en aller. Les migrants pensaient être secourus rapidement, mais rien n’a suivi. Des bateaux de pêches croisés un peu plus tard auraient également refusé de les secourir. Toujours dans la nuit, un hélicoptère (le même ?) aurait largué des bouteilles d’eau et des biscuits aux migrants présents sur le bateau.

Le lendemain matin, les gardes-côtes italiens diffusent un deuxième message à tous les bateaux en Méditerranée. Il sera répété toutes les quatre heures pendant deux semaines.

Après une demi-dizaine de jours en mer, les premiers migrants meurent. Plus de la moitié des occupants sont morts au bout de dix jours au milieu de la Méditerranée.

Pourtant, selon les témoignages des survivants, ils ont bien croisé un autre navire, militaire. Il est question d’un grand bâtiment « gris-clair, portant deux hélicoptères  et dont certaines personnes à bord portaient des uniformes ».

Le navire aurait fait plusieurs fois le tour de l’embarcation des migrants, s’approchant à « quelques dizaines de mètres ». Mais l’équipage se serait contenté de faire des photos avant de s’éloigner.

En tout, le périple des naufragés a duré 15 jours. Une tempête rejettera finalement le bateau à son point de départ : la Libye. Près de Zliten. Bilan : 63 morts et neuf survivants, incarcérés par les libyens.

Le témoignage d’un des survivants, Dan Heile Gebre

Des questions sur le rôle de la France et de l’OTAN

 La plainte en France vise sans la citer la Marine Nationale et les navires présents sur zone à l’époque. Ainsi, dans la plainte, l’avocat des naufragés écrit :

 Il semble bien plus probable que lesdits militaires aient préféré considérer que le sauvetage de migrants en détresse ne relevait pas de leur mission

Katherine Booth, responsable du bureau des droits des migrants à la FIDH

 Fin mars un rapport parlementaire du Conseil de l’Europe estime qu’il y a dans cette affaire une responsabilité collective.

Pour sa part, le France récuse les accusations concernant l’armée. Gérard Longuet, le ministre de la Défense, a même écrit à l’auteur du rapport pour l’informer : « La France n’est pas mise en cause. Aucun bâtiment français  n’opérait à ce moment dans la zone concernée »

Le porte-parole du ministère de la Défense Gérard Gachet, au micro de Simon Tivolle

Lecture
 

 La France n’est pas le seul pays concerné. Le rapport de du Conseil de l’Europe évoque également le rôle de l’OTAN. Plusieurs ONG travaillent donc pour rassembler des preuves de la présence sur place de bâtiments militaires de l’Alliance.C’est ce qu’avance le Groupe d’information et de soutien aux immigrés, association solidaire de la plainte :

Stéphane Maugendre Président du GISTI

 A termes, d’autres pays devraient être concernés par des plaintes : l’Espagne, l’Italie ou encore la Grande Bretagne.

La totalité du témoignage du survivant Dan Heile Gebre (en anglais) :