Expulsés baillonnés, en France aussi.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

Dix jours après la mort d’une Nigériane en Belgique, on s’aperçoit que coups et coussins-bâillons ont été monnaie courante en France.

La Belgique n’a pas le monopole du coussin. La technique de l’«expulsion au coussin», tragiquement dévoilée par la mort, à 20 ans, de Semira Adamu, est également employée en France. Pourtant, après le décès de la jeune Nigériane, la police française chargée des expulsions soutenait mordicus que cette méthode barbare n’avait pas cours chez nous. C’est faux. Le témoignage de douze Maliens, expulsés le 28 mars dernier, dont Libération a eu connaissance, montre que la police a menti.

Parmi ces hommes, dix disent avoir été «étouffés», certains jusqu’à l’évanouissement, avec un oreiller. Les policiers français utilisent non seulement des coussins, mais des bâillons, des coups et, éventuellement, des calmants, contrairement aux affirmations des policiers (Libération du 24 septembre).

Ces témoignages ont été recueillis par l’avocat des Maliens, Stéphane Maugendre, également vice-président du Gisti. Ses douze clients sont aujourd’hui poursuivis pour «refus d’embarquer», parce que, à cause de l’indignation des passagers du vol, l’avion n’a pu décoller qu’après leur débarquement. Témoignages. Même si les hommes, qui doivent repasser en jugement le 29 octobre, ont souhaité conserver l’anonymat, leurs témoignages sont explicites. «On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler en m’étouffant. Une femme policier et son collègue m’ont frappé le ventre. La femme m’a frappé le sexe à coups de poing», dit un expulsé malien malien placé dans un avion pour Bamako le 28 mars 1997, en compagnie de onze compatriotes et d’une soixantaine de policiers. Son témoignage, comme les autres, a été recueilli en mai dernier par Stéphane Maugendre. Ces récits ne sont donc pas susceptibles d’avoir été influencés par les informations venues de Belgique.

Le jeune homme raconte qu’il est monté dans l’avion menotté et qu’il a été scotché à son siège. Jusqu’ici, son témoignage ne contredit pas les affirmations de la Diccilec, la police de l’air et des frontières, qui avait tenu à rassurer l’opinion publique. Le 23 septembre, à la demande du ministère de l’Intérieur, la Diccilec précisait que ses fonctionnaires avaient pour consigne de «ne pas toucher la bouche» et de n’utiliser ni coussin, ni bâillon, ni calmants. Et que les expulsés récalcitrants avaient uniquement les chevilles et les mains attachées.

«Coussins».

Les récits recueillis par Stéphane Maugendre indiquent que certains fonctionnaires sont allés plus loin: «On m’a battu au ventre. Ils ont serré le cou, ils m’ont fermé le nez et la bouche pour m’étouffer. Ils m’ont mis un oreiller devant la bouche», dit l’un d’eux. «On m’a attaché au siège avec une corde au cou et aux pieds. J’ai été frappé. On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler», affirme un autre homme, qui précise qu’il vivait en France depuis neuf ans. En montant dans l’avion, il avait dit aux policiers: «J’ai accepté de rentrer chez moi, mais je veux garder ma dignité et partir non menotté.» «Un policier s’est mis sur mes genoux, m’a mis devant la bouche un coussin, et l’autre appuyait très fort. J’ai essayé de demander de moins m’enfoncer l’oreiller et le policier derrière m’a donné une claque sur la joue», raconte un autre. «Ils ont maintenu l’oreiller au point que je perde connaissance», soutient un autre expulsé. Et ainsi de suite.

Interdictions.

L’un des douze témoins a échappé aux sévices: «Parce que j’avais un inspecteur calme, je n’ai pas été attaché, sauf les menottes, ni bâillonné, mais j’ai vu plusieurs de mes compatriotes attachés sur leur siège et bâillonnés.» Les témoignages parlent de coups dans le ventre et le sexe, de cordes au ventre, serrées de plus en plus fort à la moindre parole. Lorsque les hommes demandent à ramener leurs bagages avec eux, on leur refuse. Ce n’est pas un détail. A plusieurs reprises, le gouvernement a promis que les étrangers reconduits à la frontière seraient expulsés «dignement» et qu’on leur éviterait l’humiliation de revenir au pays les mains vides.

Alors que la Diccilec assure que l’administration de calmants aux expulsés est une pratique définitivement prohibée, les récits des jeunes Maliens comportent des détails particulièrement troublants. «J’ai vu les policiers en civil se répartir des sachets contenant des espèces de gélules translucides qui m’ont fait penser qu’on voulait nous droguer», dit un homme. «J’ai refusé de boire de l’eau, de peur qu’elle soit droguée», se souvient un autre. Depuis le saccage d’un avion à l’arrivée à Bamako l’an dernier, le Mali est considéré comme un pays à risques pour les expulsions. On peut toutefois supposer que la technique du coussin n’est pas exclusivement réservée aux ressortissants maliens. En 1991, dans le plus grand secret, un demandeur d’asile tamoul, Arumugam Kanapathipillaï, âgé de 33 ans, était mort à l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois après avoir été entortillé dans une couverture sur un vol Paris-Colombo. Sept ans plus tard, alors que le rapport d’expertise montre que l’homme, qui était cardiaque, est mort d’asphyxie par bâillonnement, l’affaire n’est toujours pas jugée. Devant le magistrat instructeur, des policiers auraient reconnu que le bâillon est utilisé environ une fois sur deux. Et, le 20 septembre, comme le révèle Charlie Hebdo, sept Tamouls expulsés de Roissy ont raconté à leur arrivée qu’une femme avait été traînée par les cheveux et maltraitée. «Afin de l’empêcher de crier, on a mis un pansement adhésif sur sa bouche».

Enquête.

La Diccilec n’a pas souhaité répondre aux accusations des Maliens, et le ministère de l’Intérieur, qui affirmait, lors de la mort de Semira Adamu, que les policiers qui s’aviseraient d’avoir recours au coussin, au bâillon ou aux calmants seraient immédiatement poursuivis, envisage l’ouverture d’une enquête.

⇒ Voir l’article