Un juge déboute provisoirement Hortefeux face à la Cimade

 , Catherine Coroller

Stéphane Lagoutte
Stéphane Lagoutte

Selon nos informations, Brice Hortefeux a perdu, hier, une manche dans le bras de fer qui l’oppose à la Cimade (service œcuménique d’entraide aux étrangers). Le ministre de l’Immigration voulait faire taire cette association en la chassant des centres de rétention administrative (CRA) où elle assiste les étrangers en instance d’expulsion mais le tribunal administratif de Paris lui a infligé un camouflet. Les juges ont suspendu l’appel d’offres lancé par Hortefeux le 22 août. Ce texte modifiait les conditions d’intervention de la société civile dans les CRA.

Muselage. Jusque-là, cette mission était confiée à un seul intervenant, la Cimade, sur l’ensemble du territoire. Cette association étant jugée trop critique, le ministère a décidé, afin de briser toute contestation, que cette tâche serait morcelée et confiée à une multitude d’intervenants. D’où, une division de la France en huit lots, et l’interdiction, pour deux associations, d’intervenir dans le même centre de rétention. Cette tentative de muselage a provoqué un front uni des associations de défense des droits de l’homme. Tous les poids lourds du secteur se sont rangés aux côtés de la Cimade pour protester contre cette mise au pas. Hier soir, ils se sont réunis une nouvelle fois au siège d’Amnesty International France. Brice Hortefeux a fait la sourde oreille, et pour éviter que son appel d’offres ne reste lettre morte, a démarché des associations pour les convaincre de se porter candidates. Hier, trois se disaient publiquement intéressées (lire ci-dessous).

Lundi, la Ligue des droits de l’homme, le Gisti, le Syndicat des avocats de France et l’association des Avocats pour la défense des droits des étrangers et le réseau d’avocats Elena France ont déposé un référé contre cet appel d’offres devant le tribunal administratif de Paris. Et, hier, divine surprise, les juges l’ont suspendu jusqu’au 31 octobre, le ministère de l’Immigration étant prié de présenter ses observations sous cinq jours. «On ne pensait pas que les magistrats rendraient leur décision aussi vite, se réjouit Stéphane Maugendre, le président du Gisti. Visiblement, les points que nous avons soulevés sont suffisamment sérieux pour qu’en dehors de toute audience le président du tribunal administratif suspende l’appel d’offres». Parmi les points en question : l’interdiction des groupements d’associations. Problème : «l’appel d’offres l’interdit alors que la loi l’autorise», relève Serge Slama, maître de conférences en droit public. Autre irrégularité : la contradiction entre le décret «portant modification du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en matière de rétention administrative» et l’appel d’offres consécutif. Le premier prévoit un accompagnement juridique des étrangers afin de leur permettre un accès effectif au droit, le second une simple permanence d’information.

«Problèmes ultérieurs». Au cabinet de Brice Hortefeux, où l’on a découvert la demande de référé en même temps que la décision du juge, la nouvelle a semé la fureur. «Le juge n’a pas retenu d’irrégularités, il ne s’est pas prononcé, il a pris une mesure conservatoire, il a dit « je suspends », cela ne préjuge en rien de sa décision», s’emportait un collaborateur du ministre. Certes, le tribunal n’étaye pas son ordonnance par des doutes explicites sur la légalité de l’appel d’offres. Il dit qu’«il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre au ministre de différer la signature des contrats jusqu’au 31 octobre», résume le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Mais, pour lui, c’est sûr, «cela signifie qu’il a un doute et qu’il veut y regarder de plus près pour éviter des problèmes ultérieurs». «Il y a des cas dans lesquels la légalité est tellement évidente que le référé est rejeté», ajoute ce professeur de droit public à Paris-X.

Le jugement sur le fond devrait intervenir d’ici à la fin du mois. «On est optimistes, on a des arguments très sérieux», affirme Serge Slama. Lesquels ? Les associations ne veulent pas dévoiler leurs batteries. Pour Serge Slama, «si le ministère connaissait nos arguments, il pourrait publier un avis modificatif pour changer les conditions du marché».

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