La  » zone de transit  » devant le tribunal de grande instance de Paris L’Etat est condamné pour voie de fait sur des étrangers

index , Philippe Bernard, 27/03/1992

La tribunal de grande instance la Paris a Jugé, mercredi 25 mars, que le ministère de l’intérieur avait porté gravement atteinte à la liberté» de six demandeurs d’asile en les retenant, plusieurs jours durant, dans l’aéroport de Roissy, puis à l’hôtel Arcade, en dehors de toute légalité, L’État a été condamné à payer au total 33 000 francs de dommages et intérêts aux intéressés, ainsi que 1 franc symbolique au Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI). Cette décision affirme l’illégalité de l’actuelle zone internationale où sont placés les étrangers non admis sur le territoire. C’est pour légaliser cette pratique sous le nom de «zone de transit» que le ministère de l’intérieur avait fait adopter l’« amendement Marchand », que le Conseil constitutionnel a censuré le 25 février dermier.

La «zone internationale» est une «zone de non-droit» et la police ne peut y retenir un étranger, sauf à être condamnée pour «atteinte à la liberté individuelle». Telle semble être la conséquence, lourde dans la pratique, de la décision du tribunal de grande instance de Paris. Les juges ont estimé, en effet, que le maintien d’un étranger à l’hôtel Arcade de Roissy, « en raison du degré de contrainte qu’il revêt et de sa durée – laquelle n’est prévu par aucun texte et dépend de la seule décision de l’administration, sans le moindre contrôle Judiciaire, – a pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet».

L’affaire concernait une Zaïroise et cinq Haïtiens qui, à l’automne dernier, n’avaient pas été admis en France. La police de l’air et des frontières (PAF) avait préparé leur refoulement vers Kinshasa et Port-au Prince. Mais, demandant a bénéficier du droit d’asile, ils avaient été retenus dans une salle de aéroport Charles-de-Gaulle, puis au premier étage de l’hôtel Arcade, loué à cet effet par le ministère de l’intérieur, en attendant l’examen de leur demande. Si l’«atteinte au droit d’asile», que certains invoquaient, n’a pas été retenue par le tribunal au motif que le refoulement n’avait pas été exécuté, les juges ont, en revanche, analysé en détail les conditions de rétention, avant de reconnaître que «l’atteinte à la liberté Individuelle» constituait une « voie de fait ».

Les magistrat ont constaté que les étrangers retenus à l’hôtel Arcade sont placés sous la surveillance de la PAF et sont logés «dans des chambres dont les fenêtres sont condamnées» avec interdiction de quitter le premier étage, dont le couloir est fermé par une porte verrouillée et «gardée par la police, qui empêche toute entrée ou sortie non autorisée par l’administration».

Le tribunal ajoute que les intéressés «ne bénéficient pas des droits reconnus par la loi mais seulement de ceux qui leur sont octroyés, à sa discrétion, par l’autorité administrative (…)». Il rejette l’argument du ministre de l’intérieur qui soutenait que cette privation de liberté consistait seulement en une interdiction d’entrer en France. La décision relève qu’aucun texte, national ou international, ne confère «une quelconque extra-territorialité à tout ou partie des locaux de l’hôtel Arcade, situé (…) hors de l’enceinte de l’aéroport», ce qui relève d’une «fiction juridique».

La décision d’un magistrat d’autoriser à porter une telle affaire devant un tribunal civil (le Monde du 28 février) devait conduire logiquement à la condamnation de l’État, puisque aucun texte n’a jamais autorisé la création de la « zone internationale ». La teneur prévisible de ce jugement avait d’ailleurs été pour ainsi dire annoncée par le Ministre de l’intérieur, M. Marchand, lorsqu’il avait déposé in extremis un amendement légalisant cette pratique, pour tenter de prévenir les conséquence d’un condamnation de son administration. On connaît le sort qu’a réservé le Conseil constitutionnel à ce texte, non pour des raisons tenant au principe même d’une «zone de transit», mais parce que le texte gouvernemental laissait les mains libres à la police pendant vingt jours, délai que le Conseil n’a pas jugé « raisonnable ».

Le jugement présent, s’il empêche le ministère de l’intérieur de maintenir les étrangers non admis à Arcade et le prive donc d’un moyen efficace de filtrer les entrées, ne laisse cependant pas l’administration démunie. L’ordonnance de 1945 sur les étrangers lui permet, en effet, de maintenir ces personnes dans les centres de rétention existant sur tout le territoire « s’il y a nécessité absolue » Le texte prévoit le contrôle du juge judiciaire au bout de vingt-quatre heures et la limitation à sept jours, total, de la durée de cette rétention tout à fait légale celle-là.

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