Eric Besson veut faciliter l’éloignement des étrangers en situation irrégulière

index Laetitia Van Eeckhout,  31/03/10

Le gouvernement cherche à accroître la latitude de l’administration pour éloigner les étrangers en situation irrégulière. Cinquième du genre en sept ans, le projet de loi que le ministre de l’immigration, Eric Besson, devait présenter, mercredi 31 mars, en conseil des ministres, devait initialement transposer dans le droit français la directive « retour » adoptée en 2008 par le Parlement européen (Le Monde du 13 février). M. Besson y a fait quelques ajouts afin de « simplifier » cette procédure d’éloignement – le gouvernement s’est fixé un objectif de 30 000 expulsions par an. Et ce, au prix d’une forte restriction des droits des étrangers, s’alarment les associations de soutien aux immigrés.

Désavoué par les juges des libertés et de la détention (JLD), qui avaient libéré les 123 Kurdes débarqués le 22 janvier sur une plage du sud de la Corse, le ministre avait annoncé son intention de changer la loi. Après le démantèlement de la « jungle » de Calais, en septembre 2009, à la suite duquel les Afghans interpellés et placés en rétention avaient tous été libérés, Nicolas Sarkozy avait, lui aussi, appelé à simplifier le contentieux. Il avait remis en question l’existence des deux ordres de juridiction – administrative et judiciaire – qui se prononcent sur la rétention des étrangers en situation irrégulière. « A mes yeux, il n’en faut qu’un. Et s’il faut une réforme de la Constitution pour cela, nous le ferons », avait déclaré le chef de l’Etat dans un entretien au Figaro, le 16 octobre 2009.

La question avait toutefois déjà été tranchée, en 2008, par la commission Mazeaud, constituée pour réfléchir au cadre constitutionnel de la politique migratoire. « L’unification juridictionnelle (…), outre qu’elle serait difficilement réalisable, ne répondrait pas aux attentes placées en elle, ni au regard de la charge de travail des juridictions, ni du point de vue de l’effectivité des mesures de reconduite”, soulignait la commission, qui avait conclu au maintien nécessaire de la dualité de juridiction.

« Esprit de défiance »

Faute de pouvoir créer une juridiction unique, le projet de loi réorganise donc l’intervention des deux juges en inversant le moment où ils statuent. « Il s’agit, explique M. Besson, de clarifier et de rendre plus cohérente l’intervention des deux juges. » Le juge administratif, qui se prononce sur la légalité de la mesure d’éloignement, interviendra avant le JLD, garant des libertés fondamentales.

Cette réorganisation se fait au prix d’une forte restriction des prérogatives du juge judiciaire.

L’intervention du JLD, qui se prononce sur le maintien des étrangers en rétention mais aussi, en amont, sur la légalité de l’interpellation de la personne, sa garde à vue et le respect de la notification de ses droits, est repoussée : il sera saisi cinq jours après le placement en rétention – contre quarante-huit heures actuellement – avec obligation de statuer dans les vingt-quatre heures. L’administration disposera, elle, en revanche, d’un délai plus long (six heures au lieu de quatre), pour former un recours suspensif contre une décision du JLD de remise en liberté d’un étranger.

« Garde à vue comprise, un étranger pourra ainsi être privé de liberté pendant une semaine sans voir un juge », s’alarme Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Le juge judiciaire pourra aussi prolonger la rétention de vingt jours au lieu de quinze aujourd’hui.

Délai qui pourra encore être augmenté de vingt jours.

La durée maximale de rétention passe ainsi de trente-deux à quarante-cinq jours. Pourtant, comme le rappelle la Cimade, association présente en centres de rétention, la durée moyenne de rétention, en France, ne dépasse pas dix jours et demi. « Beaucoup d’étrangers sont expulsés en moins de quatre à cinq jours, notamment les personnes ayant un passeport, ou celles qui, sous procédure Dublin II, sont renvoyées dans le premier pays européen de l’espace Schengen qu’ils ont foulé, relève Damien Nantes, de la Cimade. Désormais toutes ces personnes pourront être expulsées sans être passées devant le JLD, qu’il y ait, ou non, irrégularité de la procédure. « 

Par ailleurs, le projet de loi restreint le champ de contrôle du juge judiciaire. Certaines irrégularités de procédure qui justifiaient jusqu’ici des remises en liberté, pourraient ne plus être invoquées.

Pour Patrick Henriot, vice-président du Syndicat de la magistrature, « ce projet de loi est inspiré par un esprit de défiance à l’égard du juge judiciaire. Il cherche soit à éviter le passage de l’étranger devant le JLD, soit à limiter son pouvoir de contrôle. C’est une atteinte grave aux libertés fondamentales ».

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