Titres de séjour : «L’administration pourrait être « civile » « polie » et « gentille »»

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358386-des-immigres-font-la-queue-devant-les-bureaux-de-la-prefecture-de-caen-le-14-novembre-2011Estelle. Je suis assistante sociale à l’ASSFAM. Cela fait des mois que certaines personnes essaient vainement d’obtenir un rendez-vous à la préfecture pour déposer un dossier de naturalisation, mais le numéro de téléphone par lequel il faut passer sonne toujours occupé. Que faire ?

Stéphane Maugendre. C’est une situation qui se généralise sur toute la France. Il y a parfois la possibilité d’entamer une procédure en référé devant les juridictions administratives. Et avant cette démarche, il faudrait envoyer une lettre de mise en demeure auprès du service concerné, avec accusé de réception.

Toto. Comment expliquez-vous l’indifférence actuelle à cette situation, que ce soit la télévision ou l’opposition ? Certaines images étant choquantes, elles devraient être du pain béni pour les uns comme les autres.

S.M. Il y a eu une conférence de presse le 5 décembre dernier, avec la Ligue des droits de l’homme, RESF, la Cimade… Il n’y avait qu’un ou deux journalistes. Les actions qui étaient proposées ont amené beaucoup de personnes à se rassembler devant les préfectures, mais on est en période électorale, et le fait que des gens attendent dans le froid pour obtenir un titre de séjour n’intéresse absolument personne. Lorsque monsieur Guéant demande des étrangers «civils», «polis» et «gentils», on pourrait peut être demander aux administrations d’être «civiles», «polies» et «gentilles» avec leurs administrés.

Cyrus. Que pensez-vous de la petite phrase de Claude Guéant : «Si des électeurs du Front national trouvent que je réponds à leurs attentes, j’en suis content.» ?

S.M. Ce n’est pas étonnant. On va avoir à peu près toutes les semaines, une phrase du ministre de l’Intérieur sur les étrangers, parce qu’on est en campagne électorale, et que très clairement monsieur Guéant s’est emparé du idées du Front national dans cette campagne.

AlfredoGarcia. Que doivent faire ceux qui ne sont pas arrivés à renouveler leurs titres de résident ? Attendre le 6 mai 2012 ?

S.M. C’est compliqué. Non, il ne faut pas attendre parce qu’on n’a aucune certitude quant aux résultats des élections. Même si la gauche arrive au pouvoir, on n’a aucune certitude sur les modifications législatives qu’ils feront voter. La loi oblige les gens qui ont un titre de séjour qui vient à expiration à se présenter avant son expiration, sinon il y a un risque de se retrouver en situation irrégulière.

CT. Je vis en France depuis vingt ans, je possède une carte de séjour italienne, qui arrive à terme en janvier 2012, à la préfecture on me dit que je n’ai plus à la renouveler en tant que citoyen européen, je voudrais savoir si cela est correcte.

S.M. Soit vous êtes extra-communautaire, alors le titre de séjour italien ne permet pas de résider sur le territoire français. Soit, vous êtes Italienne, et la législation vous permet de résider sur le territoire français.

CT. Ma question était : je suis Italienne, dois-je renouveler ma carte de séjour ou pas ?

S.M. Non, vous n’avez pas besoin, vous êtes Européenne.

Jelloul. Le service public n’a-t-il pas l’obligation des moyens pour répondre aux besoins des usagers ? Si oui, peut-on contraindre la préfecture par une décision de justice, afin qu’elle mette le personnel adéquat ?

S.M. Oui, il y a une obligation de l’administration, qui fait partie d’ailleurs de la Charte Marianne – qui règle les relations entre l’administration et les administrés –, le gouvernement l’applique différemment selon les services. Concernant les étrangers, on s’aperçoit que ce sont les plus mal lotis. Il y a possibilité de faire des procédures. Par exemple : la préfecture du Val-de-Marne a déjà été condamnée par le tribunal administratif, mais on peut envisager de saisir le Défenseur des droits. On pourrait peut-être envisager des procédures plus contraignantes, y compris pénales.

Mathias. Ces conditions d’accueil déplorables sont-elles récentes ? Pourquoi se sont-elles dégradées ?

S.M. Pour ce qui concerne la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis), ce n’est pas récent. Elles se dégradent régulièrement, sur l’ensemble de l’Ile-de-France, et ça se généralise à l’ensemble de le France. Pourquoi ? A l’origine, il y a d’abord une volonté législative. Je m’explique. Lorsque la loi change et que celle-ci ne permet plus d’obtenir des cartes de séjour de dix ans, mais plus que des cartes d’un an, vous augmentez le nombre de personnes. Et lorsque vous précarisez le séjour par voie législative – les lois Sarkozy, Hortefeux, Besson –, vous augmentez le nombre de personnes qui viennent en préfecture.

Ensuite, il y a la logique de l’exécutif qui est de réduire le nombre d’étrangers en France qui pourraient être régularisés, ou obtenir un titre de séjour. Ce sont des logiques qui mettent des bâtons dans les roues, car au lieu d’obliger de venir une fois au guichet, ils vont venir quatre fois, voire plus. Toujours dans cette logique de l’exécutif, il y a ce qu’on appelle les RGPP, qui font que les réductions de personnels administratifs vont se situer dans les services peu porteurs, comme celui des étrangers que dans d’autres services. Le choix est politique.

Pape Traoré. Je suis étudiant, et cela fait deux semaines que j’essaie de renouveler juste mon récépissé. Je n’ai toujours pas mon titre de séjour depuis août 2011, je suis en situation irrégulière depuis novembre juste parce que j’arrive pas à renouveler mon récépissé ?

S.M. Vous tombez dans le cadre de la fameuse circulaire Guéant, dont il est fait état dans le portrait de Libération de ce mardi matin, qui est en train de bloquer les étudiants dans leurs démarches administratives, soit pour continuer leur études, soit pour trouver du travail à la fin de leur études.

Indignet. Ce traitement n’est-il pas contraire à certains principes de la Convention européenne des droits de l’homme ? Quelle serait la responsabilité de l’état en cas de problème de santé grave lors de ces longues périodes d’attentes dans le froid ?

S.M. On peut considérer en effet que ces conditions sont particulièrement indignes. On peut réfléchir à saisir les instances européennes. En cas de maladie, ou de décès, on peut envisager d’engager la responsabilité de l’Etat.

YSF. Depuis la circulaire Guéant datant du 31 mai concernant les étudiants étrangers, ces derniers peuvent se voir refuser une nouvelle carte d’étudiant ou un récépissé, ce qui les place en situation d’illégalité. Est-ce légal de la part des préfectures ? Comment y faire face ?

S.M. Une circulaire n’est pas opposable, c’est-à-dire qu’elle n’a pas force de loi, ni de décret. Mais, en même temps, elle est appliquée par l’administration, donc le refus qui serait fondé sur cette circulaire pourrait être attaqué devant les juridictions administratives. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site du Gisti, et notamment l’article A la faveur de la crise, étrangers vache à lait ?

Cafard. Où trouver les infos avant d’aller faire la queue ?

S.M. Sur le site de RESF, vous trouverez le dossier de presse du 5 décembre 2011 où l’on fait un petit point sur les préfectures.

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