Sans-papiers : les policiers face à un nouveau casse-tête

Laurence De Charette

Les forces de l’ordre ne disposent plus que de quatre heures pour effectuer les vérifications d’identité.

À partir du 5 juillet prochain, les gardes à vue devraient être définitivement proscrites pour les sans-papiers. C’est à cette date en effet que la chambre civile de la Cour de cassation se prononcera définitivement sur cette question. Les hauts magistrats ayant toutefois déjà sollicité l’avis de la chambre criminelle de la même haute juridiction, ils devraient en toute logique lui emboîter le pas. Mardi en effet, cette chambre a rendu un avis qui ne va pas faciliter la tâche des autorités: elle a considéré qu’un étranger ne peut pas être placé en garde à vue s’il est seulement soupçonné de séjourner irrégulièrement sur le territoire français. En clair, les personnes interpellées à l’occasion de contrôles d’identité, par exemple, ne pourront plus être retenues 24 ou 48 heures au commissariat de police si elles ne sont mises en cause dans aucun autre délit.

Plusieurs associations se sont réjouies que la garde à vue ne puisse plus servir de «salle d’attente des décisions des préfets». Actuellement, le recours à la garde à vue est généralisé dans la politique de lutte contre l’immigration clandestine. Sur 100.000 étrangers ayant fait l’objet d’une procédure pour séjour illégal, 60.000 sont passés par le commissariat. Près de 250 sans-papiers sont écroués.

«Il y a un détournement de procédure, puisqu’on utilise une procédure pénale (la garde à vue, NDLR) pour aboutir à une décision administrative (sur une éventuelle expulsion). On utilise la garde à vue pour le confort de la police, de la préfecture et du procureur de la République», parce qu’elle laisse plus de temps (48 heures maximum), a dénoncé Stéphane Maugendre, président du Gisti.

Jurisprudence européenne

L’avis de la Cour de cassation découle en réalité du droit européen. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu en décembre 2011 un arrêt affirmant qu’être en situation irrégulière ne constituait pas un délit justifiant une incarcération. Or, en droit français, ne peuvent être placées en garde à vue que les personnes qui encourent éventuellement une peine de prison.

Jusqu’à présent, le gouvernement français faisait une autre lecture de cet arrêt, estimant que la garde à vue restait malgré tout utilisable pour les sans-papiers. La Chancellerie avait confirmé sa position à travers deux circulaires, l’une du 13 décembre 2011, l’autre du 12 mai 2011… Mais, au vu de la jurisprudence européenne, les tribunaux rendaient déjà sur le terrain des décisions contradictoires, n’hésitant pas à exiger la remise en liberté de sans-papiers passés par le commissariat.

«La décision de la Cour de cassation ne nous étonne pas», explique Hassan Ndaw, directeur adjoint de Forum réfugié, une des associations qui gèrent les centres de rétention. «C’est un vrai changement de philosophie, renchérit Patrice Spinosi, avocat à la Cour de cassation, car les étrangers en situation irrégulière ne pourront plus être assimilés à des délinquants. Mais il est aujourd’hui nécessaire d’adapter la loi française…»

Désormais privés de l’instrument de la garde à vue, les policiers disposent d’un autre outil prévu par la loi, beaucoup moins contraignant toutefois: la procédure de «vérification d’identité» leur laisse quatre heures pour vérifier qu’une personne possède ou non un titre de séjour en bonne et due forme. Les personnes qui s’avèrent en situation irrégulière – les recherches se font notamment grâce à des fichiers européens pour les demandeurs d’asile – sont le plus souvent placées en rétention administrative, en vue d’une reconduite à la frontière.

Mais l’une des stratégies des sans-papiers les plus aguerris aux failles du droit peut être de ne produire aucune identité, de façon à ce qu’aucune vérification ne soit possible.

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