Les « trois de Bamako » reconnus coupables

L'Obs - Actualité  26-06-2003

Ils avaient perturbé l’expulsion de clandestins à Roissy. Reconnus coupables « d’entrave à la circulation d’un aéronef », ils sont dispensés de peine.

Stéphane Maugendre, l’avocat de Patrick Hermann, Paul Rosner et Léandre Chevalier, trois passagers qui comparaissent pour entrave à la circulation aér Stéphane Maugendre, l’avocat de Patrick Hermann, Paul Rosner et Léandre Chevalier

Trois passagers d’un vol commercial Paris-Bamako qui avaient protesté contre l’expulsion de clandestins maliens embarqués de force à bord de l’appareil, ont été reconnus lundi coupables d’entrave volontaire à la circulation ou la navigation d’un aéronef par le tribunal correctionnel de Bobigny, qui n’a toutefois pas prononcé de peine à leur encontre, selon leur collectif de soutien.

Les trois hommes, Paul Rosner, Léandre Chevalier, qui partaient en mission humanitaire au Mali pour l’association IMRAGEN, et Patrick Herman, un membre de la Confédération paysanne, avaient été interpellés le 17 avril dernier à l’aéroport de Roissy lors d’incidents à bord d’un avion Air Méditerranée. Passibles d’une peine maximale de cinq ans de prison et 37.500 euros d’amendes, ils disaient n’avoir fait preuve d’aucune violence verbale ou physique à l’égard des forces de l’ordre.

Le jugement du tribunal est conforme aux réquisitions du procureur de la République qui avait réclamé la reconnaissance de culpabilité avec dispense de peine. Les avocats des trois prévenus avaient plaidé la relaxe.

« On ne comprend pas très bien » cette décision, a commenté Réjane Mouillot, porte-parole du collectif de soutien des trois hommes, qui a annoncé que le collectif comptait poursuivre la mobilisation dans des affaires similaires qui seront prochainement jugées.« Ca tape, ça tape ! »Dans le récit qu’ils avaient fait des incidents sur le site internet de leur collectif de soutien, Paul Rosner et Léandre Chevalier avaient décrit une situation de « confusion totale » dans l’avion: l’embarquement avait eu lieu avec plusieurs heures de retard et les passagers déjà excédés par l’attente avaient trouvé à bord des clandestins maliens, dont certains poussent des cris, encadrés par des policiers.

Ils reconnaissent avoir argué devant un représentant des forces de l’ordre -qui les invitait à descendre s’ils n’étaient pas d’accord- qu’ils avaient payé leur place comme les autres et Paul Rosner a tenté de prendre une photo quand certains passagers ont affirmé que les policiers frappaient les clandestins.

« On les entendait crier, hurler, puis d’un seul coup les gens ont crié ‘ça tape, ça tape! »‘, a raconté Léandre Chevalier sur France Info. « Le simple fait pour moi de voir des gens hurler, crier, c’est insupportable; c’est un vol commercial, se retrouver avec des gens comme ça attachés, cela fait un peu traite des esclaves. »

Paul Rosner a déploré de son côté avoir été « mis devant le fait accompli » d’une « mesure de reconduite aux frontières », qualifiant l’incident d’hallucinant ». Lui et Léandre Chevalier précisent s’être enquis avant l’embarquement de la présence de trois camionnettes de police devant la porte et s’être vu répondre que cela ne concernait pas leur voyage.

« Criminalisation de la solidarité »

Plusieurs syndicats et associations, dont Droits Devant!, Droit au Logement, la Confédération paysanne, ainsi que le Parti communiste français, qui dénonce « une répression des actes de solidarité », ont apporté leur soutien aux trois hommes. Le syndicat de la magistrature (SM) a ainsi dénoncé mardi « la criminalisation de la solidarité envers les étrangers en situation de détresse ». « La pénalisation de la solidarité citoyenne est la triste leçon à tirer de la poursuite et de la condamnation des trois passagers du vol Paris-Bamako, coupables d’avoir protesté contre les conditions d’expulsion de quatre Maliens en situation irrégulière », estime le SM (gauche) dans un communiqué. « La notion fourre-tout d’entrave à la circulation d’un aéronef permet de pénaliser désormais des réactions de pure humanité », avertit le syndicat. Il fustige une « politique de répression, judiciaire et législative qui est destinée à paralyser dans un avenir proche toute solidarité, associative ou individuelle, avec ceux qui nous sont désignés comme des fraudeurs et des délinquants potentiels, les étrangers et les immigrés ».

« Les autorités françaises (…) s’inscrivent dans une violation réitérée des principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’Homme », conclut le SM. (avec AP)