Un tiers des prévenus du procès Chalabi relaxés.

logo-liberation-311x113  Marc Pivois

Un jugement en forme de camouflet. Après plus de quatre mois d’un procès controversé, la faiblesse des peines infligées est un nouveau désaveu pour le juge anti-terroriste Bruguière.

Après une petite gifle, une grande claque. Un jour après la publication du rapport sévère établi par la Fédération internationale des droits de l’homme (Libération du 21 janvier), le prononcé du jugement du procès Chalabi a clos, vendredi, une semaine plutôt rude pour la 14e section antiterroriste du parquet de Paris, et pour les magistrats instructeurs qui y sont associés. A commencer par leur médiatique patron, le juge Jean-Louis Bruguière.

31 relaxes totales. Les trois «chefs» présumés des réseaux islamistes, Mohamed Chalabi, Mohamed Kerrouche et Mourad Tacine, ont certes écopé de huit ans d’emprisonnement et d’une interdiction définitive du territoire français. Des peines assez proches des dix ans réclamés par le ministère public. Mais, en prononçant 51 relaxes sur le délit principal d’«association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer un acte terroriste», le tribunal présidé par Bruno Steinmann s’est démarqué de l’accusation. Et surtout du travail effectué par les juges d’instruction. Sur les 138 prévenus, 31 ont bénéficié d’une relaxe totale. C’est le cas par exemple de M. A., contre lequel le procureur Bernard Fos avait requis deux ans de prison ferme, et qui avait effectué dix mois de détention préventive.

Vingt prévenus n’ont été condamnés, à des peines légères, que sur des infractions à la législation sur les étrangers ou pour recel de documents falsifiés. Pour la plupart, ces peines couvrent la détention provisoire déjà effectuée. Exemple: Nordine B., contre lequel le parquet avait requis dix mois, n’a été condamné qu’à quatre mois. Sur les 87 prévenus ayant été reconnus coupables d’association de malfaiteurs, 39 sont condamnés à des peines inférieures à deux ans. En revanche, le tribunal a compensé la raideur de ce désaveu en suivant d’assez près les réquisitions concernant les prévenus toujours en détention. En plus de celles des trois «chefs», les peines des prévenus détenus depuis leur arrestation, entre 1994 et 1995, vont de quatre à six ans.

Vendredi, le gymnase des gardiens de la prison de Fleury-Mérogis, qui a abrité ce procès hors norme, avait retrouvé l’effervescence des premiers jours d’audience, en septembre. Comme ils l’ont fait depuis le début, les détenus ont refusé de se lever à l’entrée des juges. Le seul incident de cette ultime journée d’un procès qui aura connu quelques péripéties. Avec, notamment, au début des audiences, le spectaculaire départ de la majorité des avocats, qui craignait un procès et un jugement «de masse».

Quand, le 27 février 1993, le ministre de l’Intérieur prononce l’interdiction de la Fraternité algérienne en France (FAF), vitrine légale du FIS, les renseignements généraux et la brigade criminelle de Paris ne perdent pas de vue ses sympathisants. Dans leur collimateur, une association installée à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). L’AEMF (Association éducative des musulmans de France) est officiellement une école coranique. Mais dans son local sont regroupés de nombreuses armes, des munitions et des explosifs destinés à être acheminés clandestinement en Algérie. Une autre adresse est pointée rue Bichat à Paris. Les enquêteurs établissent une liste de 100 personnes où se retrouvent les animateurs de l’AEMF, leurs connaissances et les connaissances de leurs connaissances. Le 8 novembre 1994, une rafle est lancée en Ile-de-France; 85 personnes sont interpellées. Parmi elles, Mourad Tacine, Nourredine Dridi et, surtout, Mohamed Chalabi.

Dossiers vides en attente. Le 20 juin 1995, nouveau coup de filet. Cette fois, 113 personnes sont arrêtées tandis que plusieurs mandats d’arrêt internationaux sont lancés. Le 2 avril 1996, Mohamed Kerrouche est arrêté en Grande-Bretagne. Lui, c’est une autre pointure. Pendant des mois, le juge Bruguière va travailler presque seul sur le dossier. Quand le juge Thiel arrive en renfort, certains mis en examen attendent en détention depuis un an que leur dossier, parfois vide, soit examiné. Une centaine de non-lieux sont délivrés, 138 personnes seront renvoyées devant le tribunal.

Au fil des audiences, le malaise s’installe. S’il est certain qu’une partie des prévenus s’était bien engagée dans le soutien logistique aux maquis algériens, les preuves retenues contre beaucoup apparaissent dérisoires. Telle femme est accusée d’avoir reçu un coup de téléphone suspect, telle autre de posséder une photo de baptême où apparaît une personne qui pourrait avoir des liens avec le GIA, tel restaurateur reçoit régulièrement des clients louches. Au point que la vraie question de ce procès devenait: que fait devant le tribunal un bon tiers des prévenus. Hier, le président Steinmann a donné une réponse claire: rien.

«Le président a été aussi loin qu’il a pu pour sauver un dossier pourri», indiquait Dominique Tricaud, du comité des avocats ayant boycotté le procès. Notre collectif va maintenant demander des comptes au juge Bruguière sur les mois de prison effectués pour rien par nos clients.» Selon le comité, tous les prévenus relaxés devraient saisir la commission d’indemnisation ad hoc.

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